Edito #1 : « Le droit sauvera-t-il le climat »

Nos Newsletters sont pensées dans le même esprit que le site de l’Arbre des imaginaires. Elles visent à mettre en perspective les approches pour prendre du recul sur son chemin de transition, et trouver des inspirations pour poursuivre son parcours. Chaque mois, nous aborderons un thème particulier en y apportant l'éclairage d'éléments puisés dans les ressources de l'Arbre.

Jeudi 1er avril 2020

“Le droit sauvera-t-il le climat ?” C’est par cette question que nous avons décidé de débuter notre série de Newsletters de l’Arbre des imaginaires. Pourquoi commencer par le droit, et non par l’économie, la science, ou l’art ? D’une part, nous avons pensé que l’actualité de l’Affaire du siècle était intéressante à traiter. Aussi et surtout, il fallait bien débuter quelque part pour aborder la folle complexité de la refondation écologique et sociale !

Deux petites définitions pour débuter. D’emblée, levons une première ambiguïté. Qu’entendons-nous par “climat” ? Si nous avons choisi ce terme, c’est pour soulever la question des objectifs que l’on se fixe. La question de “climat” est en effet largement employée à des fins militantes, politiques, ou marketing. A-t-on pour objectif de limiter le seul réchauffement climatique, ou aussi la pollution, l’effondrement de la biodiversité, et les conséquences sociales qui en découlent ? Lorsqu’on invoque le climat, aborde-t-on également les aspects sociaux, sociétaux, énergétiques et démographiques de la question environnementale ? De la réponse que l’on se donne, varient les solutions à apporter. La question climatique est plus “sectorielle”, là où la réponse aux bouleversements environnementaux et sociaux invite pour sa part à revoir la totalité de nos rapports sociaux. C’est davantage sur cette deuxième approche, préférant regarder les problèmes et les solutions à la racine, que nous décidons de porter notre focale. 

Pour ce qui concerne le droit, il s’agit d’un ensemble de règles qui régissent les rapports des membres d’une même société. En somme, le droit en ce qu’il permet de systématiser nos rapports sociaux a un pouvoir normatif très puissant sur la société.

La question que nous nous posons est de savoir si les instruments juridiques sont des impulseurs ou des accompagnateurs des mouvements de protection du vivant.

La large palette juridique de protection du vivant

De fait, l’arsenal juridique de protection de l’environnement gagne en consistance. Le droit de l’environnement est assuré comme principe fondamental par toutes les grandes sources de droit : droit international (Rio 1992, COP21…), droit européen (Charte des droits fondamentaux), et droit constitutionnel (Charte de l’environnement).

Par ailleurs, un certain nombre de lois récentes ont pour ambitions affichées (à ne pas confondre avec l’ambition effective) de renforcer ces dispositifs pour rendre concrète la protection de l’environnement. C’est le cas avec la loi PACTe (2019) sur la responsabilité sociale des entreprises, ou la loi climat et résilience actuellement en discussion au Parlement à la suite de la Convention Citoyenne pour le Climat

Une multitude d’acteurs se mobilise pour mettre en application ces droits : militants, ONG, think tanks, experts du GIEC, sommets internationaux, juristes de droit de l’environnement, entreprises, pouvoirs publics, citoyens… Cette mobilisation à l’envergure internationale transforme le droit et permet l’obtention de victoires historiques. A l’hiver 2019, 2,3 millions de citoyens se sont mobilisés pour soutenir l’Affaire du Siècle, portée par un réseau d’associations environnementales. Le 3 février 2021, le Tribunal Administratif de Paris a jugé que l’inaction climatique de l’Etat français était illégale.

Ce mouvement trouve des échos à l’étranger. Le Programme Environnemental des Nations Unis constate en effet que le nombre de procès concernant les litiges climatiques s’élevait à 1500 en 2020 dans 40 pays. Il s’agit d’une multiplication par deux depuis 2017.

D’ailleurs, les organisations publiques ne sont pas les seules concernées. Les entreprises sont également sommées de rendre compte de certaines politiques s’apparentant au greenwashing. Un procès est en cours aux Pays Bas contre Shell. En France, le groupe Casino est accusé de se fournir auprès d’abattoirs impliqués dans la déforestation en Amazonie. Natixis, Auchan, Total et Air Liquide sont également dans le viseur pour défaut de vigilance climatique. Les fondements juridiques varient selon les pays, mais témoignent d’une imagination allant dans le sens d’une plus grande protection de l’environnement.

En ce sens, via la pluralité de ses acteurs, de ses fondements juridiques et des instruments et procédures qu’il offre, le droit met à disposition de nombreux leviers d’actions, à différentes échelles, pour participer à la préservation du vivant.

Les limites techniques des outils juridiques

Toutefois, le droit est également un des principaux freins à la transition environnementale et sociale. Fruit du passé et de la tradition, il décide pour le présent. Ces freins sont à la fois pratiques dans le cadre du droit positif, à savoir le droit existant au temps T. Ils relèvent aussi de contradictions idéologiques avec les objectifs poursuivis. 

D’un point de vue pratique, se pose la lourde question du financement des mesures mises en place. A ce titre, économie et droit fonctionnent main dans la main pour former une techno-structure. Sans droit, l’économie manquerait d’un cadre de confiance où se développer. Inversement, sans l’économie, les principes juridiques manquent le plus souvent d’effectivité. Séparer ces deux questions semble donc superficiel. Ainsi, le Pacte Vert européen, présenté en 2020 par Ursula Van Der Leyen prévoit notamment une législation européenne sur le climat afin de parvenir à la neutralité carbone en 2050. Cela a un coût : au moins 100 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Ces décisions politiques qui s’inscrivent dans le droit impliquent de revoir les flux économiques et fiscaux pour assurer le financement d’un tel projet. À ces enjeux se superpose le débat de savoir si ce montant est suffisant ou non.

A titre d’exemple sur la scène française, la Convention citoyenne pour le climat a fait 149 propositions en juin 2020. Celles-ci visent à assurer une approche systémique de l’adaptation de notre société aux bouleversements environnementaux. Parmi ces mesures, le Président de la République a posé son joker sur 3 d’entre elles, qui concernaient le financement des 146 restantes. Cela a mis à mal l’ensemble de l’équilibre proposé par les 150 citoyens. Pour rappel, la France doit passer de 11,2 tonnes de CO2 émises par an et par habitant, à 2 tonnes. Cette division par près de cinq implique de revoir la totalité de nos organisations sociales, ce qui a de grandes incidences.

Les moyens économiques alloués sont-ils suffisants pour mettre en œuvre ce qui est prévu dans les textes ? Tel est l’enjeu de la loi Climat et résilience actuellement débattue au Parlement et critiquée par les mouvements de protection de l’environnement pour son manque d’ambition notamment par le Collectif « C’est Maintenant ou Jamais ».

L’ambition des mesures prises est d’autant plus contrainte par la nécessité de mettre en cohérence justice climatique et justice sociale. L’enjeu est de faire converger la fin du monde et la fin du mois. La crise des gilets jaunes il y a deux ans est venue mettre l’accent sur cette nécessité de ne pas être punitif envers les personnes moins favorisées. Au contraire, les revendications nous invitent à rendre l’effort collectif, partagé, et proportionnel à l’empreinte de chacun.e. Pas une mince affaire !

Sur le plan juridique, d’autres enjeux techniques sur lesquels nous n’épiloguerons pas, rendent la question de la préservation de l’environnement délicate. C’est le cas de la question de la causalité : à savoir le lien de cause à effet entre l’acte de polluer, et le dommage subi, qui n’est pas toujours facile à démontrer.

Dépasser les limites idéologiques

Enfin, l’Occident est marqué par des notions fondamentales telles que les droits de l’homme, la démocratie, le progrès ou la croissance. Le droit est venu régir un système qui met en ordre ces valeurs en habillant par la technique des positions idéologiques. Par conséquent, dans la pratique, les questions de refondation écologique et sociale se confrontent à un certain nombre de verrous juridiques. À titre d’exemple, la règle du maintien des 3% de déficit est inscrite dans la “règle d’or”. Elle est issue du droit de l’Union Européenne qui organise également le “libre marché”. Libre concurrence et rigueur budgétaire ne sont pourtant pas les mesures les plus plébiscitées pour mettre en œuvre une politique de transition environnementale des plus adaptée … 

Et si, à la croissance économique, nous opposions le principe juridique de non régression de la protection de l’environnement dégagé par le Conseil Constitutionnel ? Chercher à mettre notre système juridique en cohérence avec l’ambition existentielle de protéger le vivant implique une remise en ordre de nos fondements juridiques. Les implications de tels changements seraient gigantesques. 

D’autres pistes peuvent être explorées par le droit, en forme de terra nova, à savoir de nouvelles terres encore peu explorées en Occident. C’est le cas de la remise en cause de la division juridique (summa divisio) entre les personnes et les choses. A l’heure actuelle, tout ce qui n’est pas humain est considéré comme une chose. Cela crée donc une frontière et une hiérarchie avec le reste du vivant. L’Inde et la Nouvelle Zélande ont ouvert des pistes d’élargissement des sujets de droit en accordant la personnalité juridique à des rivières.

La question des sujets de droits définis dans un cadre juridique donné peut aussi se concevoir de façon plus extensive. C’est une invitation à revoir la notion de citoyenneté.

Les citoyens et habitants vivant dans un État à un moment T de son histoire sont-ils les seuls sujets de son droit ? Faut-il au contraire ouvrir le bénéfice de ses droits dans l’espace à d’autres populations qui subissent à l’autre bout de la planète les répercussions de nos actes, dans les pays du sud notamment ? Faut-il également œuvrer à une ouverture de ses droits dans le temps en reconnaissant le droit des générations futures ?

A la lecture de ces quelques pistes explorées sur le rôle du droit dans la préservation du vivant, on remarque qu’il est autant impulseur que canalisateur, avant-gardiste que frein de l’évolution de nos sociétés. En somme, il est à sa place : celle de simples outils mis à la disposition des citoyens pour faire valoir leurs droits et transformer la société. Évolutif au même titre que la société, il en donne le tempo autant qu’il en suit le pouls. Pour lui permettre de continuer à se transformer et se mettre en ordre de marche pour assurer une juste protection du vivant, ce sont donc nos imaginaires qu’il s’agit de continuer à transformer. De là viendra la transformation de nos institutions, nos rapports sociaux, notre rapport au monde, et par voie de conséquence, nos droits et devoirs.

Marin Maufrais, co-fondateur de l’Arbre des imaginaires

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1 réflexion au sujet de « Edito #1 : « Le droit sauvera-t-il le climat » »

  1. Bravo Marin pour cet édito qui donne bien à penser en avant ! Juste un passage pourait êtr eplus précis :
    « . Les entreprises sont également sommées de rendre compte de certaines politiques s’apparentant au greenwashing. » rendre compte, est ce que ça veut dire accepter de voir remis en cause, des « mesurettes » visibles mais qui ne remettent pas en cause l’exploitation « miniére et abusive » du bien commun qu’est une TERRE vivable pour tous….y compris de hommes !

    Bon vent dans ces récits fondateurs

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