Numérique

Les technologies numériques, déjà très présentes dans nos vies quotidiennes et amenées à en prendre encore davantage, ont une position ambivalente par rapport à notre impact environnemental. D’un côté, elles peuvent avoir un rôle crucial dans la transition écologique et limiter nos déplacements, gagner du temps, permettre un accès facile à de nombreux services, une meilleure gestion de notre habitat, de nos villes, de nos transports… De l’autre néanmoins les impacts exponentiels sont nombreux et préoccupants, qu’ils concernent la multiplication des équipements et des objets connectés, la consommation accrue d’électricité, les conséquences sociales, éducatives et sanitaires du temps passé sur les écrans et de la modification des rapports humains… Il est crucial de revoir nos usages du et nos comportements face au numérique, de diminuer notre consommation frénétique d’appareils, d’évaluer bien plus profondément les décisions de déploiement de nouvelles technologies, et d’utiliser le meilleur du formidable potentiel du numérique pour le mettre au service d’une société respectueuse du vivant, du climat, de la planète.

Impacts écologiques et sociaux du numérique

Le numérique, s’il jouit auprès du grand public d’une image propre et virtuelle a de multiples impacts écologiques et sociaux.

La production des équipements électroniques nécessite de grandes quantités d’eau et l’extraction de ressources non renouvelables.


Elle génère de la pollution liée à l’extraction, à la fabrication mais surtout au recyclage des déchets de ces équipements, actuellement fait à la main dans des pays à bas coût de main d’œuvre (Nigeria, Ghana, Bénin, Inde…). La pollution générée (au plomb, cadmium, mercure, arsenic) tue, en particulier dans les pays en développement, où 80% des 50 millions de tonnes annuelles de Déchets électriques et électroniques (DEE) sont envoyés illégalement selon la Banque Mondiale.

La production de ces équipements nécessite l’extraction massive de métaux rares qui a des impacts environnementaux et géostratégiques colossaux. En outre, leur extraction alimente l’instabilité dans les zones où ils sont exploités : République Démocratique du Congo, région des Grands Lacs Africains, Amérique Centrale, Birmanie.

 

Et l’empreinte carbone du numérique, très loin d’être négligeable, est en forte croissance. Celui-ci représente en 2019 près de 4% des émissions de GES annuelles dans le monde. Cela peut sembler peu et même négligeable. Pourtant cela dépasse aujourd’hui celle du secteur aérien civil et c’est autant que ce qui est émis par la flotte de camions. Si Internet était un pays, il serait le 3ème plus gros consommateur d’électricité au monde, derrière la Chine et les États-Unis.
Surtout, le sujet est majeur car ce qui est très inquiétant c’est la croissance de ces émissions : +8% par an ! Si nous suivions cette tendance, le numérique représenterait 8% des émissions mondiales de GES en 2025, soit autant que le milliard de voitures actuellement en circulation.

Les émissions mondiales actuelles sont dues à 45% à la production (TV, ordinateurs, smartphones et autres appareils) et 55% à l’utilisation (terminaux, réseaux et datacenters).
L’impact de la production des équipements est massif, les 15 milliards d’objets connectés en 2018 qui passeront selon l’Ademe à 46 milliards en 2030, mettent sous tension l’extraction de métaux et émettent des émissions de GES.

Plusieurs causes alimentent le volume faramineux des ventes mondiales : la croissance démographique et l’accession d’une part plus importante de la population à ces produits, mais aussi le taux de renouvellement élevé des modèles de smartphones. Ainsi, en France, les smartphones sont remplacés la plupart du temps bien avant qu’ils ne tombent en panne. Et ce pour deux grandes catégories de raisons selon l’Ademe : la volonté d’être à la pointe de la mode, poussée par les publicités et offres promotionnelles, et le fait que les smartphones ne sont souvent pas conçus pour être réparables, compatibles et évolutifs dans le temps. A ces deux catégories s’ajoute le cas du déploiement d’une nouvelle technologie comme la 5G pour laquelle les téléphones portables actuels deviendraient obsolètes.

Aux impacts liés à la production des équipements s’ajoutent ceux liés aux usages du numérique. D’une part parce qu’ils déterminent le volume de production des équipements et d’autre part parce qu’ils engendrent intrinsèquement un impact important. Et parmi les usages les plus énergivores et donc émetteurs de GES, la vidéo est particulièrement préoccupante. En effet, parmi les usages, 80% repose sur la vidéo, 20% sur les autres usages. La plus grande partie des flux vidéo peut être rangée sous la catégorie « vidéo en ligne ». qui représente 60% du flux mondial de données en 2018 et 20 % du total des émissions totales de GES dues au numérique, soit près de 1% des émissions de GES mondiales.

Enfin, le numérique a des effets indirects qui peuvent être dévastateurs. Il a des effets induits en facilitant certains usages, eux-mêmes polluants. Il produit également des effets rebonds, les gains de temps et d’efficacité étant réinvestis en de nouvelles activités (polluantes). Les économies réalisées sont ainsi vite compensées par une augmentation des usages. Par exemple, étant donné que les microprocesseurs sont de plus en plus petits, chacun d’entre eux requiert en valeur absolue moins de matériaux pour être fabriqué. Par conséquent leur prix baisse… et leur demande explose, de nouveaux modèles venant rapidement remplacer les plus lents, ce qui contribue aussi à accélérer l’obsolescence des ordinateurs. La miniaturisation des technologies numériques peut également avoir un effet démultiplicateur sur leur demande : les économies de matières générées par la miniaturisation vont alors être absorbées par la multiplication du nombre de petits appareils électroniques.

Axes de solutions

Pour tendre vers un numérique plus respectueux de l’environnement, il faut d’abord distinguer la fabrication des appareils, la consommation (achat d’appareils, usages numériques, utilisation de serveurs et centres de données) et nos grands choix de société concernant les technologies numériques à venir.

Fabrication des appareils

Le premier axe de solutions repose sur des mécanismes permettant de diminuer drastiquement les impacts de la fabrication des appareils. Selon l’étude GreenIT.fr de 2019, mises en œuvre dès 2010, ces 4 mesures auraient permis de réduire de 27% à 52% l’empreinte du numérique mondial sur la période (2010 à 2025), malgré l’ajout de 1,1 milliard d’utilisateurs.

  • Réduire le nombre d’objets connectés en favorisant leur mutualisation et leur substitution et en ouvrant leurs APIs.
  • Réduire le nombre d’écrans plats en les remplaçant par d’autres dispositifs d’affichage : lunettes de réalité augmentée / virtuelle, vidéo projecteurs LED, etc.
  • Augmenter la durée de vie des équipements en allongeant la durée de garantie légale, en promouvant les indices de réparabilité et de durabilité, en favorisant le réemploi, et en luttant contre certaines formules d’abonnement. D’une manière générale s’inscrire dans les low tech : dés-obsolescence, réparabilité et économie de ressources (design épuré, des codes purs et légers), désophistiquer les technologies pour réduire leur impact.
  • Réduire les besoins des services numériques via leur écoconception. Penser les services selon un esprit de frugalité (en ressources informatiques, réseau, temps, attention). Fluidifier l’attention, non l’instrumentaliser : un numérique « écologique by design » – optimisation, éco-conception, usages.

Par ailleurs, le volume de production d’équipements électroniques étant directement lié à la demande, réduire le volume d’équipements achetés et la fréquence de renouvellement aura un impact direct. Pour réduire son impact en tant qu’acheteur d’appareils numériques (individu ou entreprise), de nombreuses solutions existent en suivant le modèle des 5R (voir la fiche associée) :

  • Repenser. Bien réfléchir à son achat : en ai-je réellement besoin ? Ne puis-je pas récupérer un appareil non utilisé ? Ai-je besoin de changer pour ce nouveau modèle ? Pour quelle fonctionnalité indispensable ? Ai-je besoin d’un écran si grand ? Quel est le bilan énergétique de la catégorie d’équipement ? Du modèle envisagé ? Etc.
  • Réduire. Conserver le plus longtemps possible son matériel (des durées d’utilisation de 5-6 ans pour un smartphone, 10-12 ans pour un ordinateur semblent atteignables) en en prenant soin (housse, coque, sac de transport adapté…), en assurant l’entretien logiciel. Se renseigner sur les indices de durabilité et de réparabilité pour acheter du matériel le plus durable possible. Privilégier des appareils multifonctions (par exemple imprimante + photocopieur + scanner). Adopter des gestes d’économie d’énergie.
  • Réparer son matériel autant que possible en cas de panne ou de casse.
  • Réutiliser. Acheter du matériel d’occasion / reconditionné.
  • Recycler. Revendre ou donner le matériel que vous n’utilisez plus.

Les entreprises peuvent également repenser leurs politique d’achats pour allonger la durée de vie de la flotte PC & smartphone, de réduire le stockage des données inutiles pour utiliser moins d’espace serveur, d’utiliser un hébergement web à moindre impact, et d’éco-concevoir ses services numériques : ses services en ligne, son site et ses logiciels, grâce à un ensemble de bonnes pratiques qui permettent de réduire les impacts environnementaux.

Consommation numérique

Une fois achetés, les équipements électroniques induisent des impacts lourds liés à la circulation, au stockage et au traitement des données. De très grandes baisses de notre empreinte numérique peuvent ainsi être réalisés par des usages plus écologiquement responsables de nos appareils.

Usage de loin le plus consommateur d’énergie et émetteur de pollution, notre utilisation intensive du streaming vidéo, doit être considérablement maîtrisée. L’impact énergétique du visionnage de la vidéo en ligne est en effet environ 1500 fois plus grand que la simple consommation électrique du smartphone lui-même.

Pour limiter son impact, plusieurs réflexes sont à adopter : télécharger (via Internet, pas 4G ou 5G) plutôt que streamer, choisir par défaut une qualité dégradée des vidéos, désactiver la fonction autoplay qui enchaîne les vidéos automatiquement sur les plateformes de streaming (YouTube, Netflix, etc.), se renseigner sur la part d’énergies propres utilisées par les grandes plateformes de streaming vidéo / audio et les messageries (campagne Clickclean de Greepeace), privilégier un accès Internet en priorité par câble, sinon par Wi-Fi et en dernier recours via le réseau cellulaire. Autres usages à surveiller quoique moins impactants que la vidéo, l’envoi d’emails et la recherche Web. Enfin, un usage raisonné du e-commerce qui limite certes les déplacements des clients mais facilite la surconsommation.

Grands choix de société concernant les technologies numériques à venir

Enfin, nous devons collectivement questionner le déploiement des technologies futures (intelligence artificielle, Internet des Objets, 5G, jeux vidéo en ligne, voitures autonomes…), identifier les usages fondamentaux qu’elles permettent, renoncer aux usages inutiles et surtout mener des analyses sérieuses de bénéfices et impacts. Nous avons fait preuve d’une inventivité folle avec le numérique, il s’agit maintenant de se poser la question de la pertinence des idées auxquelles nous décidons d’allouer des ressources.

Pour chacune d’entre elles, les gains d’efficacité énergétique doivent être très sérieusement comparés aux effets rebond qu’ils peuvent induire. Le cloud gaming, par exemple, permet une mutualisation des ressources informatiques dédiées aux jeux vidéo et allonge donc la durée de vie des terminaux (consoles et ordinateur), en réduisant ainsi le coût de fabrication et de recyclage. Pour autant, les plateformes de cloud gaming (Shadow de Blade, Stadia de Google, xCloud de Microsoft) rendent des jeux accessibles au plus grand nombre et permettent une utilisation intensive qui peut contrebalancer ces gains.

Autre exemple, plus emblématique, le passage à la 5G illustre notre besoin collectif d’interroger les usages des technologies et leur rapport coût / bénéfice en prenant rigoureusement en compte l’impact environnemental (massif pour la 5G) en compte avant de décider d’un déploiement. La promesse de cette technologie est d’apporter un débit 10 à 100 fois supérieur à la 4G, permettant un téléchargement instantané et une réduction à quasi rien du temps de latence.

En contrepartie, son déploiement entraînera une empreinte énergétique démultipliée. En effet, un équipement 5G consomme 3 fois plus qu’un équipement 4G, ajouter des équipements 5G aux sites existants conduira à doubler la consommation du site, et, avec la 5G, il faudra 3 fois plus de sites qu’avec la 4G pour assurer la même couverture. Au final, avec ce déploiement la consommation d’énergie des opérateurs mobiles serait multipliée par 2,5 à 3 dans les 5 ans à venir.

Dès lors, les questions auxquelles nous devons répondre, pour la 5G et pour toute technologie numérique émergente, sont les suivantes : le déploiement massif de la 5G est-il justifié au regard de l’enjeu environnemental ? Les bénéfices attendus sont-ils suffisants au regard de l’impact ? Pourquoi ne pas la réserver à des usages précis : des possibilités locales industrielles pour la 5G, mais pas nécessairement partout ?

La démarche de sobriété numérique consiste ainsi à passer d’un numérique instinctif à un numérique réfléchi. Il est nécessaire d’identifier les apports sociétaux du numérique à maintenir à tout prix, afin de pouvoir leur allouer en priorité les ressources disponibles. Comme le formule le Shift Project : « Du point de vue du climat et des limites planétaires, il ne s’agit pas d’être « pour » ou « contre » la pornographie, la télémédecine, Netflix ou les mails : il s’agit d’éviter qu’un usage jugé précieux ne pâtisse de la surconsommation d’un autre jugé moins essentiel. »

Enfin, un chantier considérable porte sur la refondation du numérique. La Fondation d’un Internet Nouvelle Génération (FING) a défini les intentions à porter et actions à mener pour doter le numérique de 7 “qualités” : inclusif, frugal, démocratique, protecteur, innovant, capacitant et équitable. Parmi les défis techniques à surmonter pour y arriver, elle évoque les nécessités de re-décentraliser le web, prendre soin des biens communs numériques, concevoir un numérique plus sobre tout en étant désirable, rendre concrètement les algorithmes et les IA responsables et équitables, et concevoir un numérique plus respectueux d’une écologie mentale.

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