Emissions cachées et importées
NB : La fiche présentée ci-dessous est composée d’éléments du Réseau Action Climat (RAC) et du rapport « Maîtriser l’empreinte carbone de la France » du Haut Conseil pour le Climat (HCC) publié en octobre 2020.
Enjeux
Selon la manière dont les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont comptabilisées, la « responsabilité climatique » d’une personne, d’une collectivité, d’une entreprise, d’un pays ou d’un produit peut énormément varier. L’approche traditionnelle de comptabilisation des émissions de GES d’un pays, par exemple, ne prend en compte que les émissions émises à l’intérieur des frontières. Mais si on y ajoute les émissions qui entrent dans le territoire via les produits importés et si on y soustrait celles qui sont exportées, on obtient un résultat totalement différent.
Ainsi, depuis 1990, les émissions directes de la France ont baissé de plus de 16%, avec un objectif de 40% (toujours par rapport à 1990) en 2030, puis de « neutralité carbone » en 2050. Mais l’empreinte carbone du pays, qui comptabilise également les GES émis à l’étranger pour satisfaire la demande intérieure française (mais pas ceux produits en France pour les exportations) n’est en baisse – légère – que depuis 2005. Les émissions importées ne sont en effet pas soumises aux politiques nationales de réduction et leur part ne cesse d’augmenter, dépassant, depuis une dizaine d’années, les émissions directes pour atteindre jusqu’à 53% de l’empreinte carbone, selon les sources compilées par cet organisme indépendant, chargé d’évaluer la politique publique en matière climatique.
Ainsi, sur une empreinte carbone de 11,5 t/CO2 par habitant (exprimée en équivalence du montant de rejets du principal GES), les émissions importées représentent 6,4 t/CO2, selon les calculs du Haut conseil pour le climat (HCC), un poids en hausse de 78% depuis 1995 et « principalement lié à la hausse de la consommation », indique Corinne Le Quéré, présidente du HCC.
La même approche existe pour les entreprises et pour les collectivités : au-delà des émissions directes (dites “scope 1”), il faut prendre en compte les émissions indirectes (scope 2 et 3), liées aux activités en amont et en aval de la production, pour pouvoir identifier la responsabilité climatique élargie de ces acteurs. Ces émissions indirectes peuvent facilement dépasser de 3 à 4 fois les émissions directes. Par exemple, les émissions du scope 3 de l’entreprise Renault, qui effectue un reporting très complet sur ce périmètre, représentent 99 % de ses émissions déclarées en 2014.
Selon les choix du « reporting des émissions », une partie des émissions de GES peut ainsi rester « cachée », ce qui rend difficile la mise en place d’objectifs climatiques adaptés et l’identification des mesures.
Axes de solutions
Pour mieux appréhender la responsabilité climatique d’un acteur (pays, entreprise, collectivité, etc.), il faut connaître son impact climatique complet. Pour les entreprises et les collectivités, il est donc indispensable d’avoir accès à des bilans qui incluent les émissions indirectes de gaz à effet de serre. À l’échelle d’un pays, il est primordial de connaître, en plus des émissions territoriales, l’importance des émissions liées à la consommation. Aujourd’hui, il n’existe pas de publication annuelle des émissions liées à la consommation de la France, en parallèle de l’inventaire des gaz à effet de serre territoriaux. Les émissions importées restent donc « voilées ». Et même si elles représentent un indicateur du suivi de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), l’information n’est pas disponible avec le même degré de transparence.
La loi énergie-climat prévoit un plafond indicatif à compter de 2022 pour l’empreinte carbone dont les émissions importées font partie. Un objectif de réduction de ces émissions importées de 65%, tous GES compris, à l’horizon 2050 par rapport à 2005 serait cohérent avec les trajectoires mondiales permettant de limiter le réchauffement planétaire à 1,5° C et permettrait à la France d’affirmer son leadership mondial. Si la neutralité carbone était atteinte en 2050 sur le territoire national, cela correspondrait à une réduction de 80 % de l’empreinte carbone du pays par rapport à 2005.
Cet objectif est, de surcroît, réaliste car la France dispose de leviers pour diminuer ses émissions importées. En effet, plus des trois quarts de l’empreinte carbone de la France sont liés à des décisions d’acteurs économiques français, qu’il s’agisse des entreprises françaises (par leurs choix d’approvisionnement) ou des ménages (par leurs émissions directes et leurs choix de consommation).
Pour le HCC, la stratégie de réduction des émissions importées doit s’appuyer sur quatre leviers.
- Le levier prioritaire concerne les entreprises, qui doivent limiter les émissions importées associées aux chaînes d’approvisionnement au titre des enjeux environnementaux de leur activité. La « prise en considération » prévue par la loi Pacte doit être renforcée par une utilisation du levier de la commande publique ou par des obligations plus fermes. Pour accompagner les entreprises dans la décarbonation de leurs chaînes de valeur, deux mesures se dégagent. D’une part, il faut mettre en place des stratégies de décarbonation des émissions importées par filière avec des objectifs quantifiés, en collaboration avec les parties prenantes et en s’appuyant sur les initiatives existantes les plus ambitieuses. Ces stratégies sur les émissions importées doivent être ajoutées à l’ordre du jour des stratégies de décarbonation des émissions territoriales des filières déjà annoncées par le gouvernement dans sa réponse au premier rapport du Haut conseil pour le climat. D’autre part, la mise en place d’un « score carbone » tel qu’il a déjà été recommandé par la Convention citoyenne pour le climat, bien articulé avec les autres indicateurs environnementaux, permettrait de stimuler la concurrence sur la qualité environnementale et la différentiation stratégique des produits.
La France oblige (via l’Article 173 VI de la loi sur la Transition énergétique) désormais les entreprises françaises à effectuer un reporting carbone qui couvre les postes significatifs d’émissions de gaz à effet de serre générés du fait de l’activité de la société. Ce texte élargit donc le reporting carbone aux émissions indirectes. Mais il reste peu précis et il faudra évaluer son interprétation de la part des entreprises dans les années à venir. Le même article oblige les investisseurs et assureurs à rendre compte de l’impact climatique de leurs investissements et d’en chercher la cohérence avec les objectifs climatiques. Malgré ces avancées, il manque toujours un suivi transparent des reportings carbone des entreprises ainsi que du respect et de l’ambition de leurs objectifs climatiques. - Le second levier concerne les ménages, qui n’ont pas accès à l’information sur les émissions importées et ne peuvent dès lors les inclure dans leurs choix de consommation. Par conséquent, les mesures à destination des consommateurs doivent s’inscrire dans une démarche globale d’accompagnement vers la sobriété, en dehors du périmètre de ce rapport, et d’information sur l’impact climat des produits par le « score carbone ».
- En ce qui concerne l’échelon européen, la France doit peser pour que les effets des politiques européennes, et notamment des accords de libre-échange, comme celui en négociation avec le Mercosur, sur l’empreinte carbone et les émissions importées soient évalués. Une telle démarche doit inclure l’impact sur la déforestation importée. Par ailleurs, l’ajustement carbone aux frontières vise à rééquilibrer la compétitivité des entreprises européennes par rapport à celle de ses partenaires commerciaux qui n’auraient pas de politique climatique ambitieuse. Ce dispositif pourrait avoir des effets sur les émissions importées car il accroîtrait le prix de certains produits importés intensifs en GES. L’ordre de grandeur de ces effets sur la compétitivité ainsi que sur la distribution des coûts entre les ménages de l’UE, d’une part, et entre les pays partenaires et l’UE, d’autre part, reste cependant à quantifier, car ils dépendent des modalités précises de mise en œuvre. En dehors de l’Union européenne, l’action de la France à l’étranger doit intégrer, au sein de ses objectifs principaux, le renforcement des engagements internationaux dans le cadre de l’accord de Paris.
- Enfin, la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée doit s’accélérer et être assortie d’objectifs mesurables.
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ASSOCIÉES
SOURCES
- Réseau Action Climat, Fiche sur les émissions cachées
- Haut Conseil pour le Climat, « Maîtriser l’empreinte carbone de la France », octobre 2020
- Alexandre-Reza Kokabi, « Smartphones, voitures et frigos importés… les émissions de CO2 cachées de la France », Reporterre, 06/10/2020
- Adrien Lelièvre, « Climat : cinq questions sur les émissions de CO2 importées », Les Echos, 08/10/2020