Banques et finance

Les banques et le monde de la finance ont le pouvoir colossal d’orienter les financements privés des épargnants et des grandes fortunes. La façon dont ces acteurs décident d’investir cette manne considérable de liquidités a un impact très important pour allouer les fonds à la transition écologique ou à l’inverse continuer de financer des activités polluantes. Plusieurs rapports d’associations et ONG publiés en octobre 2020 montrent que derrière les discours et communications verts et responsables, les grands sommets comme One Planet Summit ou Climate Finance Days… le déploiement de la finance verte, s’il est réel, reste malheureusement très éloigné de l’enjeu et l’urgence de la crise environnementale, et ne compense pas la masse des prises de position des acteurs bancaires et financiers qui soutient les activités liées aux énergies fossiles et nuisibles à l’environnement.

Impacts écologiques et sociaux

Empreinte carbone des banques mondiales

Oxfam France a publié le 27/10/2020 un rapport « Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré » qui révèle que l’empreinte carbone des 6 principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, Banque Populaire Caisse d’Epargne, Crédit Mutuel et la Banque Postale – représente près de 8 fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière et nous amène vers une trajectoire à + de 4°C (contre 1,5°C prévus par l’Accord de Paris).

Selon l’association, « Puisqu’une banque a une empreinte carbone indirecte, du fait de ses financements et investissements, ses clients en font les frais. En estimant que les Français ont en moyenne 25 000 euros sur leurs comptes (courant et épargne), nous polluons encore plus via ce que finance notre argent que via notre propre consommation. Notre argent est notre premier poste d’émissions de CO2. ». Or bien souvent le ou la client.e ne sait pas à quoi sert réellement leur argent.

Si depuis 2015, les banques françaises se sont toutes engagées publiquement à être alignées avec l’Accord de Paris, beaucoup d’annonces s’avèrent être du greenwashing et restent largement insuffisantes. Aucun acteur financier ne s’est publiquement engagé à réduire l’intégralité de son empreinte carbone. Dans le même temps, les 4 plus grandes banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE) ont toutes augmenté leurs financements à des entreprises qui développent des projets d’énergie fossile.

 

Les banques françaises ne sont pas du tout isolées dans ce comportement suicidaire pour le climat, elles ne sont malheureusement même pas les plus mauvais élèves ! Selon le rapport « Banking on Climate Change » de mars 2020, les 35 plus grandes banques privées mondiales ont investi 2 700 milliards de dollars dans les énergies fossiles lors des 4 années suivant la signature de l’Accord de Paris (2016-2019) ! Les banques américaines arrivent en tête de liste, JPMorgan Chase, Wells Fargo, Citi et Bank of America, suivies de RBC au Canada, MUFG au Japon, Barclays, Santander et BNP Paribas en Europe et Bank of China en Chine.

Destruction de la biodiversité financée par les grandes banques mondiales

Selon une étude publiée fin octobre 2020 par l’initiative internationale portfolio.earth, les plus grandes banques mondiales ont investi plus de 2 600 milliards de dollars dans des « secteurs aujourd’hui considérés par les gouvernements et la communauté scientifique comme les principaux moteurs de la destruction de la biodiversité ».

Dans le détail, « la majorité des financements évalués (66%) concernaient des activités entraînant directement la perte de biodiversité (par ex. la pêche, l’exploitation minière) et 34% des fonds étaient investis dans des entreprises indirectement responsables de la perte de biodiversité (par ex. en stimulant la demande au sein de la chaîne d’approvisionnement pour la vente au détail ou la transformation et le commerce des ressources, comme le secteur de la construction qui crée une demande en matières premières) ».

Parmi les 10 banques les plus exposées aux activités nuisibles à la biodiversité, quatre sont américaines, trois sont japonaises et trois sont européennes, dont BNP Paribas qui occupe la sixième place. Le Crédit Agricole, Société générale, BPCE et le Crédit Mutuel se trouvent également dans ce triste top 50 : au total, les financements « toxiques » pour la biodiversité de ces grandes banques françaises auraient atteint près de 315 milliards de dollars en 2019.

Déforestation de l’Amazonie financée par les banques américaines

Dans un autre rapport publié mardi 27/10/2020, l’ONG Amazon Watch et l’Apib, l’Association des peuples indigènes du Brésil, affirment que des groupes financiers de premier plan comme BlackRock, Citigroup, JPMorgan Chase, Vanguard, Bank of America et Dimensional Fund Advisors ont au total investi plus de 18 milliards de dollars au cours des trois dernières années dans des compagnies d’extraction minière, d’énergie ou d’agro-négoce impliquées dans « une série d’abus » dans la plus grande forêt tropicale au monde.

Les auteurs du rapport ont étudié les investissements de ces firmes dans neuf compagnies brésiliennes et multinationales, notamment les groupes miniers Vale et Anglo American, les compagnies d’agro-négoce Cargill et JBS, et la compagnie d’énergie Eletronorte. Ces groupes s’accaparent et polluent des terres illégalement et ont recours à la violence contre les indigènes, la déforestation et l’utilisation de pesticides dangereux, accusent Amazon Watch et l’Apib.

Les pressions extérieures qui forcent les banques et le monde de la finance à changer

Les acteurs du système financier sont exposés à des pressions économiques, juridiques et réglementaires de plus en plus fortes qui les obligent à reconsidérer leurs choix d’investissement, même si on l’a vu, leur impact est encore modeste.

1. Le premier mouvement de fond concerne la problématique des actifs bloqués (stranded assets).

Ils désignent des investissements ou actifs qui perdent de leur valeur à cause de l’évolution du marché. Cette dévaluation des actifs est principalement liée à des changements importants et soudains en matière de législation, de contraintes environnementales ou d’innovations technologiques, ce qui rend alors les actifs obsolètes avant leur amortissement complet.

Le secteur des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) commence à être touché par ce type de dévaluation. Les sociétés qui ont les énergies fossiles comme richesses risquent de perdre de la valeur aux yeux des investisseurs car elles ne peuvent pas exploiter leur richesse en raison des réglementations (en place ou anticipées) en matière de protection de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Les réserves de combustibles fossiles inutilisables sont ainsi considérées comme des actifs bloqués.

Depuis 2018, la capitalisation boursière des majors du secteur pétrole et gaz a décliné de près de 50%, tout comme leur profitabilité, exprimée par le taux de retour sur investissement. Jusqu’à présent le secteur a versé des dividendes plus élevés que le reste de l’économie. En 2020, suite à la guerre des prix entre pays producteurs et à la pandémie de Covid-19, pour la première fois, des décisions de réduction de dividendes ont été prises. En neuf mois, les européennes Shell, BP, Total, Eni, Equinor et Repsol, ainsi que l’américaine Chevron, ont collectivement déprécié pour 87 milliards USD d’actifs. Au second trimestre 2020, les cinq majors Shell, Total, BP, Chevron et ExxonMobil ont collectivement versé 17 milliards USD de plus à leurs actionnaires que le revenu de leur activité et ont recouru à l’endettement et à la vente d’actifs pour ce faire. Cette dégradation financière impacte directement les investisseurs et reflète aussi en partie leurs incertitudes sur la capacité du secteur à opérer sa transition. On peut y voir un signe avant-coureur du risque de transition, encore plus manifeste dans le secteur du charbon.

Selon le dernier rapport du mouvement Divest-Invest de décembre 2019, le désinvestissement d’énergies fossiles est passé de 52 milliards de dollars à 11 trillions de dollars cumulés entre 2014 et 2019. Fait remarquable, il est pratiqué non seulement par de petits fonds à fortes convictions mais aussi par les plus gros investisseurs institutionnels et gestionnaires d’actifs pour qui le désinvestissement est souvent partiel : le fonds souverain norvégien, Amundi, Legal&General… Si les gros gestionnaires d’actifs des Etats-Unis restent à l’écart de ce mouvement, Blackrock, le plus gros d’entre eux et au monde, a pris en janvier 2020 la décision de désinvestir du charbon partiellement.
Par ailleurs, les pratiques d’exclusion tendent à s’élargir à d’autres thèmes environnementaux, tels que la contribution à la déforestation, aux pertes de biodiversité, etc.

Parmi les 35 plus grosses banques mondiales, selon le rapport annuel 2020 « Banking on climate change », 26 ont adopté des politiques de restriction de financement du charbon et 16 limitent également leurs financements au secteur du pétrole et gaz, en particulier aux sables bitumineux et à la production en Arctique. Ces politiques sont le plus souvent partielles, parce qu’elles ne ciblent que le financement de projets et pas les financements d’entreprises ou parce que les seuils fixés permettent quand même le développement de nouvelles capacités. Seules deux banques ont étendu leurs restrictions aux pétrole et gaz de schiste et aux terminaux LNG : BNP Paribas et Unicredit.

Certaines compagnies d’assurance ont également commencé en 2017 à cesser d’assurer des entreprises, installations et projets dans des secteurs contribuant fortement au dérèglement climatique mondial. Leur principale motivation était de garantir une cohérence entre leur politique d’exclusion en tant qu’investisseur et leur cœur de métier. Ce type d’exclusion concerne avant tout le charbon. En décembre 2019, 17 compagnies, soit 9,5% du secteur de l’assurance et près de 50% de la réassurance, avaient cessé d’assurer les nouveaux projets liés au charbon. D’abord présent en Europe, ce mouvement s’est étendu aux États-Unis et à l’Australie en 2019. Néanmoins les très gros assureurs américains restent fidèles au charbon et, en Asie, seul le chinois Ping An a annoncé une politique restrictive en 2019. S’il est difficile d’estimer l’impact de telles mesures sur l’économie réelle, elles pourraient conduire à rendre l’assurance moins accessible, à renchérir les polices, à limiter l’accès aux financements bancaires et à contribuer à l’avantage compétitif des énergies vertes.

 

2. Une autre pression qui force le secteur à bouger concerne les risques juridiques.

L’année 2019 a vu une forte augmentation des recours juridiques ayant pour enjeu l’action climatique : près de 1 500 cas étaient recensés en janvier 2020, dont une large majorité aux Etats-Unis. Ce moyen de pression des parties prenantes qui s’étend à travers le monde, vise d’abord des États et de plus en plus des entreprises, principalement du secteur des énergies fossiles. On voit apparaître des recours contre des acteurs financiers, notamment en Australie où des procédures ont été lancées contre le fonds de pension australien REST par certains de ses actionnaires et contre les banques ANZ et Commonwealth Bank of Australia. Aux Pays-Bas, une action d’ONG visant ING s’est finalement soldée par un dialogue approfondi entre les parties.

Les cabinets d’avocats s’attendent à un accroissement des contentieux, à la faveur d’une conscience plus aigüe des risques, de la possibilité grandissante d’attribuer à des acteurs financiers une responsabilité pour inaction et de l’évolution des législations. Les résultats des procédures en cours seront regardés attentivement par les acteurs financiers au-delà des pays où elles sont intentées.

Axes de solutions

1. L’auto-régulation du secteur : la finance verte et durable

Selon Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic et membre du groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable à la Commission européenne, « la finance durable est un méta-concept qui embarque des considérations environnementales et sociales dans tous les métiers et toutes les dimensions de la finance. Cela va des modes de gestion d’actifs intégrant des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) jusqu’aux prêts verts, aux financements de projets à objectif environnemental mais aussi aux mesures des risques sociaux, climatiques, etc. par les investisseurs institutionnels et les entreprises ».

La Task Force on Climate-related Financial Disclosure (FSB TCFD) créée en 2015 par le G20 a fourni le premier cadre de transparence sur les risques financiers liés au changement climatique, mais aussi sur les opportunités liées à la transition bas carbone. La TCFD a recommandé aux acteurs économiques et financiers de rendre publique l’intégration de l’enjeu climatique dans quatre dimensions : gouvernance, stratégie, gestion des risques, mesure et objectifs. Elle leur suggère également de confronter leurs activités actuelles et leurs stratégies pour l’avenir à des scénarios climatiques, dont au moins un scénario bas carbone.

L’application de ces recommandations est volontaire. En février 2020, la TCFD annonçait que plus de 1 000 organisations diverses à travers le monde soutenaient ses recommandations, dont près de 500 acteurs financiers gérant près de 140 trillions de dollars. Par exemple, le fonds de pension japonais GPIF, un des deux plus gros au monde, a réalisé son premier reporting TCFD en 2019. Si l’on voit l’intérêt marqué du secteur financier à réduire les risques financiers liés au climat, force est de constater que l’adoption des recommandations de la TCFD, qui s’adresse d’abord aux entreprises, est un cadre de référence détaillé, complexe et coûteux à appliquer dans sa totalité qui reste hors de portée de l’essentiel du tissu économique mondial et surtout utilisé par de grandes compagnies multinationales. De fait, les acteurs financiers continuent de déplorer un manque de données faciles d’accès, de compréhension et d’exploitation pour éclairer leurs décisions.

Publié fin 2019, un sondage de la Global Sustainable Investment Alliance, qui fédère les Forums pour l’investissement responsable à travers le monde, montre que seul un tiers des investisseurs utilisent ces informations dans leurs analyses d’investissement et le recours aux fournisseurs de données externes reste dominant.
Dans l’esprit des recommandations de la TCFD, plusieurs pays et régions du monde ont introduit des législations rendant obligatoire une forme de « disclosure » sur le climat, selon le cas pour les entreprises et le secteur financier.

L’Observatoire de la finance durable a été lancé en octobre 2020, à l’occasion du 6ème Climate Finance Day, par Finance for Tomorrow et par les fédérations professionnelles du secteur, avec le soutien de la Commission Européenne et de son programme Life. De nombreux éléments présentés ci-dessous sont issus du premier rapport de l’Observatoire, « Bilan mondial de la finance climat » publié en octobre 2020.

Depuis 2018, les Principles for Responsible Investment (PRI) demandent à leurs signataires un reporting sur le climat selon les lignes directrices de transparence recommandées par la TCFD. Les PRI sont la plus grosse initiative d’investissement responsable au monde, avec plus de 2 000 investisseurs institutionnels (asset owners) et gestionnaires d’actifs (asset managers) signataires, disposant de près de 90 trillions de dollars sous gestion en 2019. L’analyse de ce reporting est donc un bon révélateur des progrès de l’action d’une part significative du secteur. 40 % des investisseurs font du climat un élément de prise de décisions d’investissement. 27 % visent des investissements bas-carbone, affichant une volonté plus directe de participer activement à la transition bas carbone et d’avoir un impact positif.

Sur l’ensemble des signataires, seuls 19 % avaient une stratégie climat en 2019. Ce taux est plus élevé chez les investisseurs institutionnels stricto sensu (25 %) et donc plus faible parmi les gestionnaires d’actifs. De façon générale, la prise en compte du climat est légèrement plus élevée chez les investisseurs que chez les gestionnaires. Les investisseurs institutionnels encouragent de plus en plus leurs gestionnaires à piloter les risques liés au climat mais cela reste encore très peu formalisé dans les mandats de gestion. Une faible part (17 %) des investisseurs introduit les paramètres liés au climat dans les allocations d’actifs (choix des classes d’actifs, des horizons, des géographies et secteurs d’investissement). L’analyse de scénario reste minoritaire mais progresse : limitée à 14 % en 2018, elle a été conduite par 27 % des investisseurs en 2019.

L’outil de mesure le plus fréquemment utilisé reste l’empreinte carbone des portefeuilles et ses variantes. Mais on voit également progresser le pilotage des risques et le suivi de l’exposition aux actifs « bruns », c’est à dire fortement émetteurs.

Ces résultats doivent être interprétés avec précaution. D’une part, ils ne couvrent que les investisseurs les plus mobilisés, en tant que signataires des PRI. D’autre part, ils reposent sur les déclarations des investisseurs, ne portent pas forcément sur toutes leurs activités et ne rendent pas compte de la qualité des mesures prises. Plus généralement, ils montrent des moyens, pas des impacts. Ces remarques valent aussi pour l’action des banques présentée ci-dessous.

Selon un rapport récent de BCS consulting, seules 39 banques ont commencé à publier des rapports selon les recommandations de la TCFD. Il s’agit de banques de grande taille qui représentent 24% du secteur bancaire mondial, 85% en Europe, 31% en Asie et 49% aux États-Unis. L’ensemble du secteur bancaire chinois, mais aussi des grandes banques aux États-Unis et en Europe comme Wells Fargo, Unicredit ou Commerzbank ignorent encore ces recommandations. Dans le périmètre des banques qui publient un rapport sur le climat, les banques françaises montrent la plus grande maturité dans le déploiement des mesures recommandées par la TCFD, suivies par celles du Royaume-Uni et de Suisse.

Parallèlement, les produits de financement et d’investissement favorables à la transition bas carbone, qui sont aussi des opportunités commerciales pour les banques et les gestionnaires d’actifs, se déploient rapidement.

Le volume des fonds d’investissements qualifiés de durables a dépassé le trillion de dollars en 2020, selon Morningstar. Cette croissance, qui concerne surtout l’Europe (86% de la collecte), s’est particulièrement accélérée après le début de la crise de la Covid-19. On compte désormais près de 3 500 fonds et fonds indiciels cotés (ETF) durables sur 22 000 fonds d’investissement recensés à travers le monde. Parmi ces fonds qui utilisent des critères d’investissement ESG, figurent des fonds liés au climat ou à la transition bas carbone, ainsi que des fonds à thèmes environnementaux, tels que l’eau, la biodiversité, l’énergie renouvelable, sans qu’un recensement précis ne soit disponible à l’échelle mondiale.

Les obligations vertes qui garantissent que les fonds levés financent ou refinancent des projets à impacts positifs pour l’environnement, sont nées en 2007. Depuis, le marché se développe, se diversifie et se sophistique. En 2019, avec 260 milliards de dollars émis, le marché a connu un nouveau record d’émissions, après une stabilité en 2018. Il a continué de se diversifier tant en taille d’opérations qu’en nombre d’émetteurs, de pays et continents d’origine. L’Europe, les États-Unis et la Chine représentent les plus grosses parts de marché. Tous les types d’émetteurs progressent en 2019, en particulier les entreprises privées mais aussi les établissements financiers, États, collectivités locales, entreprises publiques, banques de développement. Parmi les acteurs qui reviennent régulièrement sur le marché, on compte Fannie Mae, l’agence de prêts hypothécaire des États-Unis, le Grand Paris, la banque de développement allemande KfW… Le Chili a été en 2019 le premier émetteur souverain d’Amérique latine.

Malgré sa croissance retrouvée en 2019, le marché demeure petit : pour financer la transition bas carbone à l’échelle des besoins, le volume d’émissions devrait atteindre 1 000 milliards de dollars par an, selon la Climate Bonds Initiative (CBI), soit plus que le volume d’obligations vertes actuellement en circulation. La croissance en volume du marché viendra surtout de la création d’un environnement favorable au financement de l’économie verte. Une autre idée consiste à créer des classes d’obligations à impact ou témoignant de la transition des émetteurs, au-delà des seules obligations vertes.

Un nouveau type de prêts est apparu en 2018 : les prêts verts affectés par l’emprunteur au financement d’actifs et activités à impact environnemental. Le montant total des prêts verts a atteint 78 milliards de dollars en 2019 contre 60,5 milliards de dollars en 2018 (+ 28%). Aujourd’hui, la labellisation de ces prêts repose sur la volonté des emprunteurs de les qualifier comme tels et sur le respect de principes volontaires définis collectivement par les acteurs de marché, sur le modèle des obligations vertes. La démarche est surtout intéressante pour les gros emprunteurs qui recourent aux prêts syndiqués de gros volume pour améliorer leur accès au marché de la dette.

C’est une autre catégorie de prêts à impact qui a connu la croissance la plus spectaculaire en 2019 : les sustainability linked loans, ou prêts à objectifs durables. Ces prêts dont le taux d’intérêt est lié à l’atteinte de niveaux de performance mesurés par des indicateurs environnementaux et sociaux ont atteint 122 milliards de dollars en 2019 soit une croissance de 168%, ce qui reste une part infime de l’ensemble du crédit à l’économie mondiale. Par exemple, la Royal Deutsch Shell a emprunté 10 milliards de dollars en décembre 2019 sous forme d’un prêt syndiqué dont la rémunération dépendra de l’atteinte de ses objectifs de court terme de réduction de son empreinte carbone nette. Ce type de prêt demeure discuté parce qu’il repose sur la définition par l’emprunteur de ses propres objectifs.

Les observateurs et les investisseurs souhaitent pouvoir aussi disposer d’explications poussées sur la stratégie de transition de l’emprunteur et de la preuve de l’ambition de ses indicateurs. Demain, la comptabilisation des prêts verts sera plus systématique en Europe par l’obligation de transparence qui sera introduite pour les grandes banques sur la part de leurs activités entrant dans la future taxonomie européenne des activités durables. Il est probable que les volumes de prêts recensés soient largement plus importants que les seuls prêts actuellement labellisés verts, malgré la définition stricte d’activités vertes dans le projet de taxonomie.
Globalement, le marché de la dette durable regroupant les différentes catégories d’obligations et de prêts verts, durables ou sociaux a cru de 78 % en 2019, selon Bloomberg.

En 2019, les banques multilatérales de développement ont consacré 62 milliards de dollars au changement climatique dont 76% pour l’atténuation et 24% pour l’adaptation. Si l’on ajoute les fonds qu’elles gèrent et les co-financements liés à leurs opérations, ce sont 164 milliards de dollars de financements qui ont été apportés. Cela représente en moyenne 31% de leurs activités.

En 2019, les 26 membres de l’International Development Finance Club (IDFC), qui regroupe des banques régionales et des banques nationales de développement, ont consacré 197 milliards de dollars à la finance verte, soit environ 25% de leur activité. 87% de ces financements, principalement sous forme de prêts, sont des financements domestiques, ce qui démontre la forte puissance de feu des banques publiques nationales. Les financements à l’adaptation au changement climatique ont été multipliés par trois depuis 2015 et représentent désormais 10% des financements climat. En 2019, l’IDFC a noué un partenariat stratégique avec le Fonds vert pour le climat.

Fin 2019, le Green Climate Fund, le grand outil international de financement de l’action climatique dans les pays en développement a vu l’avenir de ses activités garanti grâce à l’aboutissement, 5 ans après son lancement opérationnel, de sa première campagne de refinancement (replenishment). 27 pays ont promis au Fonds 9,8 milliards de dollars pour la période 2020/2023. Fin avril 2020, le GCF avait approuvé 123 projets, pour un montant d’engagement de 5,3 milliards de dollars et, grâce aux co-financements, une valeur totale de 18,9 milliards de dollars.

Au-delà de la réglementation et du débat juridique, l’expansion du label B Corp (plus de 3 500 entreprises certifiées en 2020, provenant de 74 pays) reflète la volonté de plus en plus d’entreprises de se présenter également comme d’utilité sociale auprès de l’ensemble de leurs parties prenantes, y compris les acteurs financiers.
En France, depuis mai 2019, la loi PACTE donne la possibilité aux entreprises de se doter d’une « raison d’être », c’est-à-dire intégrer dans leur objet social un projet répondant à un intérêt collectif. En juin 2020, trois quarts des entreprises du CAC 40 avaient publié une raison d’être, tendance qui s’est accélérée ces derniers mois dans le contexte de la crise sanitaire. La raison d’être a donné l’occasion aux différentes directions d’entreprise de s’exprimer sur l’utilité et la vision de leur modèle d’affaires à la lumière des enjeux sociaux et environnementaux.
Cependant, l’hétérogénéité des engagements des entreprises reste importante. En effet, il existe un écart entre l’annonce publique de sa raison d’être et son inscription juridique dans les statuts. Seulement 20 % des entreprises du CAC 40 avaient voté l’introduction de la raison d’être dans leurs statuts d’entreprise en juin 2020. Les actionnaires ont alors un rôle clé à jouer lors de ces votes en assemblées générales.

Les pratiques de dialogue actionnarial sur le climat progressent dans les rangs des investisseurs. En témoigne l’ampleur prise par l’initiative Climate Action 100+ lancée en 2017, qui réunit fin 2020, plus de 500 investisseurs d’une douzaine de pays qui gèrent collectivement plus de 47 milliards de dollars.

La recherche d’un impact positif des décisions financières sur la société et l’économie se développe depuis une dizaine d’années.

  • D’une part, « l’impact investing » continue à prendre de l’ampleur (715 milliards de dollars en 2020 contre 502 milliards de $ l’année dernière) et à porter des initiatives sur la mesure d’impact, à l’image du Global Impact Investing Network (GIIN) qui a rendu accessible la base d’indicateurs d’impact IRIS+ en 2019. Cependant cette catégorie d’investissement reste une niche.
  • D’autre part, on observe que la réflexion sur l’impact n’est plus cantonnée à « l’impact investing ». En effet, des investisseurs qui ont, depuis plusieurs années, développé des pratiques d’investissement responsable, notamment en intégrant les critères ESG dans leur processus d’investissement, souhaitent aller au-delà de leurs pratiques actuelles et s’interrogent sur les externalités positives de leurs investissements.

Sur un marché total estimé par l’International Finance Corporation (IFC) à plus de 8 trillions de dollars en 2019, soit plus de 22 000 fonds d’investissement à travers le monde, près de 2 000 déclarent rechercher un impact positif, soit près de 500 milliards de dollars dont environ 900 fonds (205 milliards de dollars) disposent d’un système de mesure de performance. Si les pratiques visent le plus souvent des objectifs sociaux, plus de la moitié cherche un impact lié au climat, à travers l’investissement dans des activités vertes, l’énergie, l’efficacité énergétique et l’agriculture durable.

Le succès des Objectifs de Développement Durable, reflète également la volonté des investisseurs responsables d’utiliser ce référentiel comme structure méthodologique et stratégique de certains fonds. 31% des signataires des Principles for Responsible Investment mentionnaient les ODD en 2020 contre 16% en 2018. Les PRI ont d’ailleurs publié une proposition de structure de reporting avec les ODD en 2020. Cependant, le manque actuel de standard méthodologique afférant et la difficulté liée à la mesure de l’impact laissent place à des pratiques très hétérogènes.

2. La régulation du secteur par les pouvoirs publics

On l’a vu, malgré des avancées de la finance verte et responsable, attendre que les banques et le monde de la finance s’autorégule et mette l’environnement au cœur de toutes les décisions d’investissement est illusoire et naïf.

Choisir des banques éthiques comme le Crédit Coopératif ou la Nef est un excellent geste mais il ne suffira probablement pas à changer la donne.

Les associations appellent à légiférer, reprendre le pouvoir et rendre les banques redevables pour qu’elles réorientent les flux de capitaux privés vers une économie bas carbone. Oxfam France recommande de créer urgemment un label « en transition » permettant de définir le degré d’alignement d’un portefeuille avec l’Accord de Paris. Une banque ne pourra être désignée « en transition » que si :

  • Elle exclut de son portefeuille toute entreprise d’une « liste noire » commune, incluant les entreprises qui développent des projets incompatibles avec l’objectif 1,5°C.
  • Elle a une trajectoire de réduction ses émissions de gaz à effet de serre crédible.

En novembre 2019, Les Amis de la Terre France et Oxfam France appelaient le Gouvernement à mettre en place des normes contraignantes afin de garantir que les banques mettent fin à leurs soutiens aux énergies fossiles et en programment la sortie totale. L’Etat doit garantir en priorité la sortie du secteur du charbon au plus tard en 2030 dans les pays européens et de l’OCDE, et au plus tard en 2040 dans le monde. Ces mesures permettront aussi d’investir dans les énergies renouvelables qui sont désormais plus compétitives que les fossiles, et qui sont un levier de développement important dans les pays du Sud.

La prise en compte du changement climatique et des risques qu’il implique gagne du terrain parmi les différents régulateurs à l’échelle mondiale. L’extension du réseau Network for Greening the Financial System (NGFS) illustre parfaitement ce phénomène. Il compte aujourd’hui 66 banques centrales et superviseurs (contre 8 à sa création en 2017) qui cherchent à construire ensemble une réponse commune aux enjeux du réchauffement climatique afin de garantir la stabilité financière. Le Comité de Bâle qui établit les standards mondiaux de régulation prudentielle des banques, a également entrepris des travaux au sein d’une Task Force on Climate-related Financial Risks.

Fin octobre 2019, plus de 390 politiques et mesures ont été prises par les pouvoirs publics et les régulateurs financiers pour promouvoir la finance verte et durable, selon une étude du réseau FC4S et de l’Unep Inquiry, à l’échelle nationale ou régionale. Cela représente 25% de plus qu’en 2018 et le double par rapport à 2015.

Dans l’Union européenne, le plan de finance durable annoncé en mars 2018 par la Commission européenne suit son cours. Il est entré dans sa phase de mise en œuvre en 2019, à travers une série de législations. En 2020, une nouvelle vague de politiques et mesures de finance durable est en préparation sous l’appellation « stratégie renouvelée de finance durable », afin de permettre la réalisation du Green Deal européen, visant à atteindre la neutralité carbone dans l’UE à l’horizon 2050.

Le mouvement ainsi enclenché par les régulateurs et superviseurs se décline en trois piliers : la progression dans la définition d’un actif « vert », une meilleure intégration des risques climatiques ainsi que l’augmentation des exigences de transparence à l’égard des activités et des produits financiers.

1. Progrès significatif dans la définition d’un actif vert

Afin d’assurer la réallocation des financements et des investissements vers des activités et des projets compatibles avec une économie bas-carbone, le premier défi réside dans la définition d’un investissement « durable ». À cette fin, la mise en place d’un système de classification unifié des activités durables, la taxonomie européenne, vise à harmoniser cette définition. Pour aboutir à cette classification, six enjeux environnementaux ont été retenus : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, la protection de l’eau et des ressources marines, la transition vers une économie circulaire, la lutte contre la pollution, et la protection des écosystèmes.

De manière générale, pour qu’une activité économique soit considérée « durable », elle doit démontrer une contribution substantielle à l’un de ces 6 enjeux, sans affecter de façon significative les 5 autres piliers (principe de « Do Not Significantly Harm »). En outre, elle doit satisfaire à des garanties sociales minimales, c’est-à-dire être réalisée dans le respect de certaines réglementations, notamment des Guidelines for Multinational Enterprises de l’OCDE ainsi que des Guiding Principles on Business and Human Rights des Nations-Unies.

Le Règlement qui fixe les principes d’application de la taxonomie européenne a été adopté par le Parlement européen en juin 2020. La Commission européenne va désormais élaborer les actes délégués concernant les critères techniques spécifiques aux deux enjeux de lutte contre et d’adaptation au changement climatique. Leur adoption est prévue d’ici fin 2020 pour une entrée en vigueur en décembre 2021.

2. L’intégration des risques climatiques dans la gestion des bilans des institutions financières rentre dans une phase opérationnelle

Les risques climatiques sont aujourd’hui pratiquement absents dans la gestion des bilans des institutions financières et des règlementations afférentes (Bâle III et Solvabilité II). La BCE admet d’ailleurs qu’il est trop tôt pour imposer aux institutions financières des exigences de fonds propres spécifiques à leur exposition aux risques climatiques à travers un Green supporting factor ou un Brown penalising factor. Le sujet est désormais bien documenté par une étude de référence du think-tank I4CE, et certains acteurs ont déjà lancé des programmes pilotes, comme la Banque Centrale Hongroise qui a introduit fin 2019 un programme d’allégement des exigences de fonds propres pour les prêts immobiliers verts (notamment au service de la rénovation énergétique) pour la période 2020-2023.

Toutefois, les régulateurs sont de plus en plus nombreux à travailler sur l’analyse de cette exposition, notamment via des stress tests. Les tests de résistance ou stress tests, sont des outils régulièrement utilisés par les superviseurs pour vérifier l’adéquation des fonds propres des banques avec des chocs systémiques hypothétiques. Ces dernières sont alors soumises à des scénarios macroéconomiques aux conditions dégradées (baisse soudaine de la confiance, chute de la croissance économique, etc.). Les tests de résistance climatique ont, pour leur part, vocation à modéliser les impacts du changement climatique sur différentes variables macroéconomiques (coût d’événements climatiques extrêmes répétés, mise en place de réglementations restrictives…), afin de les intégrer aux scénarios de référence.

3. Augmentation de l’exigence de transparence

La transparence vis-à-vis de la prise en compte des enjeux du changement climatique permet de mieux comprendre, mesurer et ainsi gérer les risques qu’il fait porter sur le système financier. Depuis l’impulsion donnée par la France et l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015, les régulateurs et superviseurs augmentent leurs exigences en la matière.

Ainsi, s’inspirant des travaux de la Task Force on Climate-related Financial Disclosure, la Commission européenne a publié, en décembre 2019, un règlement sur la publication d’informations relatives aux investissements durables et aux risques en matière de durabilité. Les informations requises, à travers 32 indicateurs de performance (KPI) concernent non seulement l’intégration des risques en matière de durabilité dans les processus de d’investissement, mais également les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité. Ce règlement entrera en vigueur en mars 2021 et établit des règles harmonisées sur les informations à publier et mettre à jour régulièrement par les acteurs des marchés financiers.

Enfin, un mécanisme inventé dans les années 1970 par James Tobin (prix Nobel d’économie 1972), la Taxe sur les Transactions Financières (TTF), n’est toujours pas appliquée. Le principe est très simple, il s’agit de taxer à un très faible pourcentage de la valeur de chaque transaction financière pour collecter des financements qui peuvent être alloués à la transition écologique et sociale, à des politiques en faveur de la santé, etc. Aujourd’hui, la plupart des biens et services que nous consommons ont une TVA de 20% (ou au minimum 5,5%), pourtant les transactions financières sont taxées… à 0,0% dans la plupart des pays européens (la France en a mis une en place) !

Le potentiel de la TTF est considérable. En taxant seulement 0,1% d’actions et 0,01% de produits dérivés et d’obligations dans l’Union Européenne, nous pourrions collecter chaque année 57 milliards d’euros par an, et ce même après le Brexit et en temps de crise économique.

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