Acceptation

Introduction

Définition du Larousse

« 1. Action d’accepter, de recevoir, d’agréer quelque chose ; consentement, accord.

2. Action d’accepter l’adversité ; soumission, résignation. »

Les deux conceptions que nous avons de l’acceptation témoignent de la grande ambiguïté que nous entretenons avec cette notion. La première conception positive s’oppose à la seconde, nettement plus péjorative.

Que faire de l’acceptation dans une société qui a élevé au rang de dogme le fait de repousser les contraintes et les limites pour tendre vers toujours plus de progrès ? Ces quêtes semblent antinomiques. Faut-il accepter les barrières et se contenter de ce que l’on a, ou chercher à les dépasser ? Où placer le curseur de l’ambition ? De l’épanouissement ? De l’émancipation ? L’acceptation de nos limites est-elle compatible avec la dignité de nos modes de vie et la recherche de la vérité, ou est-elle la marque d’un manque d’ambition qui risque de nous laisser prisonniers des obscurantismes et de la pauvreté ?

La lutte entre acceptation et dépassement des limites semble permanente. Nous sommes tiraillés entre deux injonctions contradictoires. Comment trouver un point d’équilibre ? Si nos sagesses antiques et nos mouvements spirituels nous appellent à accepter nos limites, le dépassement de soi et des limites est en même temps porté comme idéaux classiques de la réussite. Cette dernière vision n’est bien sûr pas partagée par tous, mais traduit tout de même une tendance puissante et largement répandue dans nos sociétés occidentales contemporaines. Associée à la soumission, à la résignation et à l’abandon, l’acceptation nous semble relativement… inacceptable !

Au contraire, nous portons aux nues celui qui sera allé le plus loin. Nous avons d’ailleurs justifié ce mode de pensée en observant la puissance qu’il confère. En repoussant les limites de la force du travail humain, les révolutions industrielles ont permis à l’Occident d’assurer sa domination matérielle sur le reste du monde, nous donnant l’illusion de notre toute puissance.

I. Repousser les limites, objectif élevé au rang de dogme

On pourrait un peu facilement considérer que ces modèles ont été importés du monde anglo-saxon. Dès le XVIII° siècle, le Royaume Uni s’est lancé dans la première révolution industrielle. En s’appuyant sur le repoussement des contraintes physiques et l’optimisation de la production, il s’est constitué un empire « sur lequel le soleil ne se couche jamais ». Par la suite, ce sont les Américains qui ont pris le relais, s’appuyant sur les mêmes fondements philosophiques. Ils ont imposé leur « success stories », leur mythe de l’émancipation individuelle via ‘l’American dream » et leur dicton : « sky is the limit », qui a marginalisé sur le plan moral et matériel la notion d’acceptation. 

Toutefois, il serait trop simpliste de s’en arrêter là. Le spectre est plus large et c’est l’ensemble de la pensée européenne et occidentale qui est concernée. Notre rapport complexe avec la notion de limite s’observe partout. Quel que soit le domaine, nous cherchons sans cesse à repousser les limites. Synthétisons quelques exemples pour montrer l’ampleur de la question.

Economie et acceptation des limites : Dans le domaine économique, nos modèles tendent vers toujours plus de croissance. L’évolution du produit intérieur brut (PIB), bien que critiquée, reste l’outil comparatif de référence pour évaluer la santé d’une économie. Les traités européens, inspirés par des principes ordo-libéraux, ont posé les bases d’un marché unique s’appuyant sur la libre concurrence et la limitation des dettes publiques grâce à la croissance. Les institutions internationales nées à la suite de la Seconde guerre mondiale sont venues consacrer la vision de l’ordre mondial issue des pays vainqueurs de l’ouest. Ceux-ci ont posé le développement au cœur de leur raison d’être. En d’autres termes, leur but était de repousser les limites pour entraîner une meilleure qualité de vie. L’OCDE veille au développement et à la coopération des pays développés. L’ONU et la Banque Mondiale veillent au développement continu de tous les peuples.

Il est indéniable que le développement a permis de sortir des millions de personnes de la misère. Toutefois, aussi bien intentionnées ces objectifs puissent ils être, ils n’en demeurent pas moins questionnables. N’est-il pas possible d’estimer que le développement porte en lui même les fruits de la misère contre laquelle il souhaite combattre ? Ne déstabilise-t-il pas les équilibres sociaux en mettant en œuvre sa « destruction créatrice » ? N’organise-t-il pas des réseaux de dépendances là où des méthodes ancestrales avaient jusqu’ici permis aux peuples de subvenir à leurs besoins ? Sur quelles bases philosophiques nous appuyons nous pour estimer que le développement matériel est un idéal intangible ? De nombreuses études ont montré que le bonheur était couplé au développement de la qualité de vie matérielle lorsqu’elle permet de répondre aux besoins existentiels. En revanche, une fois passé un certain seuil de subsistance, le superflu ne contribue plus au bien être psychique. Qu’est ce qui justifie alors de continuer le modèle, une fois que les besoins existentiels sont assurés ? D’ailleurs, avons-nous les ressources naturelles suffisantes pour assurer un niveau de développement matériel continu ? Ne commençons nous pas à être pris au piège des effets démographiques de ce développement qui a multiplié par 3 la population sur l’échelle d’une vie, passant de 2,5 milliards en 1950 à 7,55 en 2020 (fait inédit dans l’histoire de l’humanité) ?

Il ne s’agit pas ici de porter un regard nostalgique sur les sociétés passées, ou réprobateur envers les décisions prises en d’autres temps. Dans les contextes d’époque, elles avaient leur raison d’être. Il ne s’agit pas non plus de porter une vision statique de l’Histoire préférant que rien ne bouge. Il s’agit de mettre le doigt sur le fait qu’aucune vision du monde n’est intemporelle. Alors, au-devant des limites de notre modèle, nous sommes appelés à le réinventer à l’aune des enjeux contemporains.

Techniques et acceptation des limites : Le corolaire de ce raisonnement concerne notre rapport à nos modèles techniques et mécaniques. En repoussant leur limites sans cesse, nous tendons vers toujours plus de vitesse, de puissance et de sophistication. Cela a permis une indéniable amélioration de nos modes de vie. Cela nous a également déconnecté du vivant et rendu dépendants de système complexes et fragiles. Aujourd’hui, nous nous apercevons que cela peut être contre-productif et mener vers la destruction du vivant humain et non humain à des échelles massives. (Pour dépasser le problème, voir Low tech).

Education et acceptation des limites : Pour ce qui concerne le rapport à l’acceptation des limites dans le système éducatif, il suffit de regarder la façon d’évaluer les élèves. Dès le plus jeune âge, avant même que de comprendre par soi même le monde qui nous entoure, nous sommes mis en concurrence. Le meilleur est celui qui a la note la plus élevée, c’est à dire celui qui a repoussé les limites le plus loin. Il faut faire mieux que son voisin, mieux que ses parents. Les conseils de classe hiérarchisent les enfants. Les notes associent la valeur des élèves à des chiffres qu’il faut sans cesse faire croître pour être reconnu. Si on ne se donne pas du « mal » pour recevoir une « bonne » « note », on met en danger notre capacité future à bien « gagner sa vie ». Il est bien nécessaire de s’interroger sur chacune de ces notions. Nous apprenons les vertus de la douleur comme source d’épanouissement. Le repoussement des limites par la bonne note est la clé de la reconnaissance sociale. L’impératif de gagner sa vie implique inconsciemment qu’inversement on peut la perdre si on décide de ne pas continuellement chercher à repousser ses limites individuelles. Cela réduit le champs des possibles. Ces valeurs invitent à ne jamais se satisfaire des limites qu’il s’agit de repousser. Inculquées dès le plus jeune âge, elles sont très profondément inscrites dans nos psychismes, au point qu’il est très difficile de revenir dessus après. Certains parviennent à rentrer dans le moule, mais de nombreux sont progressivement exclus du pressoir pour ne garder que les plus robustes à la fin. Pourtant, l’élève le plus créatif, le plus généreux, le plus doué, le plus à même de s’insérer dans la société et de la servir est-il celui qui aura le mieux réussi à reproduire les attentes académiques préétablies ?

Certes, de nombreux débats animent le milieu éducatif français. Comment évaluer les élèves sans établir des hiérarchies stigmatisantes ? Comment valoriser les capacités pro-sociales ? Comment développer les talents divers de chacun ? Comment accompagner les enfants dans leurs singularités ? Comment accueillir certains dont les talents sont adaptés à l’école, là où d’autres tout aussi talentueux ne rentrent pas dans le moule ? Comment éveiller les consciences à un monde profondément évolutif tout en restant dans le respect d’une certaine tradition qui permet les échanges entre les générations ? Comment élever les élèves dans le sens : « les porter vers le haut » ? Quel regard apporter sur les lacunes ?

De nombreuses prises de consciences et initiatives existent pour apporter des réponses à ces questions. Il ne s’agit pas de les sous-estimer. Toutefois, nous restons très influencés par le legs idéologique de la méritocratie républicaine. Nous avons un modèle, conçu à l’époque napoléonienne, qui organise le triage des élèves pour former son élite. Cherchant à s’appuyer des outils de classification objectifs, il a fait des mathématiques sa matière reine. Des générations entières de ceux appelés à intégrer les plus hautes sphères de responsabilité ont été formées avec la vision d’une voie royale constituée comme suit : parcours scientifique, maths sup, maths spé, ingénieur des ponts ou polytechnicien. Depuis, les parcours académiques des grandes écoles se sont diversifiés, mais la logique reste la même. Nous choisissons nos élites sur la faculté des esprits à être les plus tranchants pour reproduire des modèles techniques et les améliorer, repousser plus loin leurs contraintes. Les études de plus haut niveau favorisent les meilleurs techniciens. Que ce soit les meilleurs ingénieurs, les meilleurs juristes, les meilleurs médecins, les meilleurs économistes, les meilleurs administrateurs, nous favorisons l’hyper technicisation. Dans une société complexe, le meilleur élément est celui qui sera le plus en pointe dans son domaine. Il s’agit ensuite de trouver sa niche dans l’hyperstructure. 

Cette uniformité des parcours, la linéarité des trajectoires, la déformation du regard excessivement porté sur les facultés à proposer des solutions rationnelles ont appauvri les orientations systémiques prises, avec les dégâts qui s’observent aujourd’hui. Certes, depuis quelques années l’accent est plus porté sur la pluridisciplinarité et la variété des parcours, mais le legs des générations d’avant est là. Le sentiment de déshumanisation que provoque la perte de sens de nos modèles sociaux et la destruction terrestre qu’entraîne la fuite en avant de nos progrès techniques, remettent fondamentalement en cause cette vision techniciste qui a perduré dans notre système éducatif. Sacré chantier !

Développement personnel et acceptation des limites Au niveau des individus, nous sommes également complètement tiraillés entre les deux conceptions contradictoires de la notion d’acceptation. Cela est le cas dans nos vies professionnelles comme personnelles. Dans le discours dominant, il faut savoir accueillir la différence, accepter les fragilités, tolérer les erreurs, être « bienveillant ». Dans le « même temps », nous sommes soumis à la tyrannie de la publicité et des réseaux sociaux qui dictent les modes et les codes selon des visions faussées puisque grandement idéalisées. Chacun est tenu de se montrer sous son meilleur jour. Dans une compétition de tous contre tous, nous devons justifier notre valeur, laissant à plus tard l’acceptation de nos faiblesses. Le salarié dont on dit « accepter avec bienveillance qu’il se trompe » est pour sa part soumis à des impératifs toujours plus court-termistes et qui ne tolèrent que peu les erreurs dans un milieu économique ultra-compétitif. Ayant porté à son paroxysme notre état de dissonance cognitive, nous observons les ravages psychiques que cela provoque. Tiraillement quand tu nous tiens…

Sport et acceptation des limites La façon de valoriser nos exploits sportifs est peut être une des plus emblématique de la gloire que nous portons à repousser les limites. Les Jeux Olympique ont deux devises : « plus vite, plus haut, plus fort » couplée à la célèbre phrase de Pierre de Coubertin : « l’essentiel est de participer ». L’antinomie apparente entre ces notions témoigne une fois encore de l’ambiguïté que nous avons avec les notions de limites et d’acceptation ? Le slogan d’Addidas n’est-il d’ailleurs pas que « impossible is nothing », où nous refusons d’accepter qu’il y ait des domaines de l’ordre de l’inaccessible ? La victoire et l’établissement de nouveaux records sont-ils les seules valeurs que le sport doit décerner à l’arrivée ? « Il n’y a que la victoire qui est belle » dit-on. Ces conceptions sont-elles réellement indépassables ?

High tech et acceptation des limites Les derniers nés de cette pensée linéaire qui rejette l’acceptation des limites, sont à aller chercher dans le domaine de la high tech. Ne voit-on pas les européens se jeter dans la course au perfectionnement de leurs outils d’intelligence artificielle pour rattraper américains et chinois ? Personne ne sait quels seront les avantages sociaux de ces technologies, mais c’est à celui qui en aura la version la plus sophistiquée en premier car elle lui assurera pouvoir et argent. A l’aune de l’urgence sociale et environnementale, cette fuite en avant est-elle la priorité ? Le passage de la 4G à la 5G, nécessitant de revoir nombre de nos infrastructures est-il réellement la réponse la plus idoine aux urgences précitées ?

Le transhumanisme est d’ailleurs la version la plus extrême de l’idéologie « anti-limite ». Les tenants de ce courant de pensée cherchent à mettre fin à la mort pour ne plus avoir à accepter une perspective qui leur est insupportable : son aspect inéluctable. Cela traduit peut être que c’est dans notre rapport à la mort que se trouve l’ambiguïté originelle que nous entretenons avec l’acceptation.

Recherche, santé et acceptation des limites : Prenons la recherche et la santé. Ce sont peut être les plus grandes réussites de notre mode de pensée progressiste qui ne se contente pas de ce qui est. En mettant constamment en doute toutes nos connaissances et nos croyances, nous avons réussi à aller toujours plus loin dans le savoir académique sur la compréhension scientifique du monde qui nous entoure. De nombreux mystères qui ont pendant des siècles relevé du paranormal s’expliquent désormais par la science. De façon concrète, l’espérance de vie en France est passée de 25 ans au XVIIIème siècle à 83 ans de nos jours. Toutefois, ces progrès ne sont pas sans revers de la médaille.

En poursuivant le mythe socratique de la connaissance, nous avons démystifié de nombreuses croyances. Cela a permis l’émancipation de ceux qui en étaient les victimes. Dans le même temps, cela a aussi rendu folkloriques nombre de nos traditions, au prix d’une perte de sens et d’un émiettement d’une société qui ne sait plus en quoi croire. Désormais chacun se disperse dans sa croyance du monde, où existent de nombreuses réalités parallèles ou « fake news ». Ce phénomène très marqué dans nos sociétés contemporaines et étudié par Jérôme Fourquet dans « L’archipel français », se théorisait déjà dans « La naissance de la tragédie » de Nietzsche et met en danger notre avenir en commun dans notre faculté à faire société.

Concernant l’allongement permanent de l’espérance de vie, celle-ci aussi se questionne lorsqu’on prend un peu de distance sur nos sorts individuels et ceux de nos proches. Lorsque l’on sait le coût moral, physique, écologique et économique que représente pour la société la prise en charge de personnes que l’âge a lourdement fragilisé, cela pose de très lourdes questions sur la balance des intérêts. Aujourd’hui, mourir à 16 ans semble inadmissible pour quelqu’un qui a la vie devant soi, mais quelle est la différence entre partir à 87 ou à 89 ans ? Cette question ethique, nous n’aimons pas nous la poser. Cela ne la fait pas disparaître pour autant. L’essentiel n’est il pas d’avoir bien vécu ? N’est-ce pas un regard différent sur la mort qui pourrait se transformer, vers davantage d’acceptation justement.

II. L'acceptation, une nécessité vitale

L’acceptation est pourtant un principe philosophique qu’il semble primordial de revaloriser à la lumière des enjeux actuels. Chez les Grecs, ce principe s’est retrouvé dans le stoïcisme. Pour rapporter ici la définition qu’en donne Wikipédia, le stoïcisme a pour finalité le bonheur de l’existence humaine obtenu grâce à une acceptation rationnelle de l’ordre du monde et de son évolution. Il repose notamment sur la distinction centrale entre d’un côté les choses qui dépendent de nous et sur lesquelles nous devons concentrer nos efforts, et d’un autre côté les choses qui ne dépendent pas de nous, contre lesquelles il est vain de lutter et que nous devons au contraire supporter et accepter (principe de détachement). Ce principe est illustré par la célèbre prière attribuée à Marc-Aurèle : « Ô Dieux ! Donnez-moi le courage de changer ce qui doit être changé, la patience de supporter ce qu’il m’est impossible de changer et la sagesse de distinguer l’un de l’autre. »

Rapporté à des considérations contemporaines liées aux dérèglements environnementaux, ces principes philosophiques se portent sur l’acceptation des limitations propres à notre condition humaine : finitude de notre vie, fragilité de nos existences, de nos modèles de société. Il va nous falloir apprendre à accepter le monde qui nous entoure dans sa composante constante à l’échelle de notre vie : à savoir que nous vivons sur une planète ronde aux ressources limitées et donc précieuses. Il va aussi nous falloir apprendre à accepter le monde dans sa composante évolutive à l’échelle d’une vie : à savoir les bouleversements des écosystèmes qui rendent l’avenir incertain et prévisible.

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