Innovations démocratiques et CivicTech

Dans de nombreuses démocraties dans le monde (et en particulier en France), le système politique est en crise sur deux aspects majeurs. D’une part, une crise de légitimité et de confiance d’une culture de la délégation qui éloigne les citoyen.ne.s de l’action politique. D’autre part une crise de l’efficacité et des résultats face aux enjeux colossaux pour répondre aux défis colossaux (environnementaux, sociaux et économiques) du XXIème siècle. Face à ce constat, et pour éviter à tout prix la tentation d’une dérive vers un modèle politique fermé et autoritaire, il est indispensable d’introduire plus de vitalité dans nos vieux modèles de démocratie. C’est ce que les acteurs des CivicTech et de l’innovation démocratique cherchent à proposer.

NB : ce qui suit est un extrait de la retranscription de l’article du monde cité dans les sources.

« Le designer Armel Le Coz, cofondateur du collectif Démocratie ouverte de Parlement & Citoyens, initiateur des Territoires hautement citoyens, a tenté en 2016 de proposer une typologie des CivicTech, ces formes d’innovation politique.

Il distingue 7 grandes familles de l’innovation démocratique permises par les Civic Techs. Si la taxonomie a quelques limites, concède d’ailleurs leur auteur lui-même, elle permet néanmoins de prendre conscience que ce mouvement des Civic Tech est plus divers et plus complexe que ce à quoi on le réduit trop souvent.

1. Les citoyens autonomes : agir d’abord !

La première famille des « citoyens autonomes » s’incarne dans des formes d’innovations auto-organisées. Elle se caractérise par une forte défiance, voire une colère, vis-à-vis des institutions. Pour ceux qui incarnent cette famille, l’important est de participer aux actions plus qu’aux décisions, d’agir.

Armel Le Coz y classe différents acteurs comme le mouvement des Colibris et les représentants de la décroissance qui prônent l’autonomie, l’action sur son environnement direct. Le mouvement des Zèbres d’Alexandre Jardin, les « faiseux » qui s’opposent aux « diseux », qui font plus confiance aux entrepreneurs qu’aux politiques. Les associations et l’économie sociale et solidaire (ESS) qui disputent aux collectivités publiques le monopole de l’intérêt général. Et Alternatiba mouvement citoyen qui vise à sensibiliser la population et lutter contre le changement climatique.

2. Les révolutionnaires : expérimenter de nouvelles formes politiques

Si la première famille prône l’autonomie, la seconde va plus loin encore (même si les liens entre chaque catégorie sont certainement plus poreux qu’il ne semble). « Les révolutionnaires » refusent le fonctionnement du système politique et institutionnel actuel. Ils cherchent à déstabiliser voire hacker le système via les élections ou la pression populaire. Ils veulent mettre en place d’autres règles du jeu, ils rêvent d’un autre fonctionnement pour la société.

Parmi ceux-ci bien sûr, NuitDebout, qui, par le mouvement de réappropriation de la place publique, utilise la contestation pour remettre en débat la société. Pour eux, l’enjeu est à la fois de trouver de nouvelles formes de pression sur les institutions et d’expérimenter de nouvelles formes de politique. Armel Le Coz range aussi dans cette famille les différentes primaires citoyennes que sont La Primaire.org, La vraie primaire ou la primaire des Français… qui veulent hacker la présidentielle en faisant élire un candidat citoyen et remettre en cause la politique professionnelle et le fonctionnement des partis politiques eux-mêmes. Il range encore dans cette famille les citoyens constituants (inspiré des ateliers constituants d’Etienne Chouard, bien que visiblement les deux n’aient plus d’affinités communes) qui prônent, parmi d’autres, le tirage au sort et l’écriture d’une constitution réellement démocratique. On y trouve aussi les nombreux projets de Sénat Citoyen et de référendum d’initiative citoyenne. Et bien sûr, MaVoix, un collectif qui souhaite « hacker » les législatives de 2017 en testant un modèle de démocratie directe visant à tirer au sort des candidats pour les législatives afin d’élire des députés « augmentés » (ou diminués, selon la façon dont on observe la proposition), devant répondre de leurs votes auprès de leurs électeurs.

3. Les formateurs : créer des citoyens critiques ?

La troisième famille que distingue Armel Le Coz est celle des « formateurs »… Des acteurs souvent issus de l’éducation populaire, de la médiation numérique, du théâtre ou des pédagogies alternatives qui cherchent avant tout à diffuser une culture du collaboratif, une pédagogie de l’autonomie et de la responsabilité.

Dans cette famille, il range l’Université du Nous qui sensibilise et forme entreprises et associations à de nouvelles formes de gouvernance, à des méthodes de créativité, d’intelligence collective, de facilitation, de gestion de conflits… ainsi qu’à des techniques de décision par consentement, allant de la sociocratie à l’holacratie. Ici, l’enjeu est de transformer les gens, de former des citoyens actifs et autonomes, de les armer à l’utilisation d’autres méthodes démocratiques. Mais il y en a de nombreux autres. Comme Accropolis, la webTV qui décode les débats politiques de l’Assemblée nationale, ou les youtubers d’Osons Causer… Ici, l’enjeu est de parler de politique simplement, de décrypter les coulisses des institutions, et d’utiliser le numérique pour parler au plus grand nombre. En cela, ils se rapprochent également des Scop d’éducation populaire comme Le Pavé devenu depuis Le Contrepied et La Trouvaille, célèbres pour leurs conférences gesticulées. L’enjeu de ces mouvements est de créer des citoyens critiques et engagés.

Enfin, Armel Le Coz fait également entrer dans cette catégorie des lieux et structures aussi variés que Coop-Cité, Liberté Living Lab ou Super Public… ou le projet d’adapter le projet de CivicHall new-yorkais à Paris, comme annoncé par la maire de Paris, Anne Hidalgo.

Pourtant, c’est un autre projet qu’Armel Le Coz appelle à se présenter. Voxe.org est un comparateur de programme politique open source et… neutre. Né avec la présidentielle de 2012, Voxe a eu pour ambition de faciliter l’accès à l’information politique en rendant accessible la comparaison de programmes. Depuis 4 ans, la startup a déployé ses outils sur 23 élections dans 16 pays – et prépare déjà les élections de 2017. Son travail ne se limite pourtant pas aux élections. L’enjeu pour elle est aussi de susciter l’engagement citoyen au quotidien, que ce soit via sa lettre d’information ou son blog en aidant à décrypter les enjeux de Nuit Debout ou de la Loi Travail. Voxe teste, expérimente. Sur la loi travail, le site a demandé à ses lecteurs leur avis et les a invités à interpeler leurs élus. Pour celui qui en présente les enjeux, donner des outils aux citoyens pour comprendre, c’est aussi leur donner des outils pour avoir un impact sur la vie publique. Pour Voxe, l’enjeu est de réinventer l’éducation civique d’une manière ludique, pour expliquer ce qu’est le Grand Paris, à quoi sert une région… L’enjeu n’est pas seulement de donner un cadre théorique sur le fonctionnement des institutions, mais aussi de donner des outils pour s’engager dans la vie publique. Aujourd’hui, la startup prototype des ateliers pour aider les gens à être plus à l’aise dans les débats et imagine des stratégies de mobilisation citoyenne pour avoir un impact sur l’élaboration des lois.

4. Les transformateurs : peut-on changer le système de l’intérieur ?

« Les transformateurs » cherchent, eux, à changer le système de l’intérieur. Ils travaillent auprès des institutions et des décideurs pour les aider à changer de méthode, de modes d’organisation ou de posture. Ils utilisent la formation et les méthodes d’accompagnement au changement. Dans cette famille on trouve à la fois les Territoires hautement citoyens qui développent des outils, des méthodes, des formations et des analyses autour de territoires qui mettent la démocratie au cœur de leur fonctionnement, à l’image de Mulhouse, Trémargat, Kingersheim, Grigny, Grenoble, ou Mouans-Sartoux (qui gère tous ses services publics en régie municipale directe), ou encore, l’un de ceux qui est devenu le plus emblématique, Saillans. Dans cette famille on ne trouve pas seulement des territoires qui font la preuve de ce qui est possible par l’exemple ou qui libèrent les énergies citoyennes. On trouve aussi des institutions qui cherchent à réinventer les institutions comme, à leurs mesures, le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique ou Etalab. Faire autrement les politiques publiques, c’est l’enjeu également de la 27e Région qui depuis les méthodes du design expérimente des logiques de transformation des politiques publiques. Ou Plausible Possible, un studio de design de service qui accompagne les collectivités pour transformer leurs politiques publiques.

5. La démocratie participative… traditionnelle

La cinquième famille que présente Armel Le Coz est celle de la démocratie participative traditionnelle. Une démocratie d’origine institutionnelle, à l’initiative des collectivités et des administrations, cherchant à développer des modalités de participation citoyenne. Si elle est souvent perçue comme de la communication descendante, elle produit parfois des choses efficaces ou innovantes. Bon, reconnait néanmoins le designer, ses réalisations demeurent souvent laborieuses pour ne pas dire besogneuses. On connaît les conseils de quartiers, les conseils de jeunes, d’anciens, de citoyens, de développement ou les expérimentations de budgets participatifs. On y croise beaucoup de dispositifs et d’outils différents, parfois croupions ou de façades, parfois plus réussit, à l’image de la Commission nationale du débat public qui réalise des consultations réglementaires en amont de grands projets d’infrastructures, qui teste des procédures de participation mobile ou en ligne, ou des formes de jury citoyens…

6. Les geeks : appliquer la logique des réseaux à la politique

Les Civic Tech formeraient-elles une catégorie à part ? Peut-être esquisse Armel Le Coz en rassemblant dans cette famille de « geeks » des outils purement et nativement numériques. Souvent assimilés à des formes de gadgets, les promoteurs de ces outils annoncent vouloir révolutionner la politique en lui appliquant des logiques pair-à-pair. Même si elle s’incarne le plus souvent dans des outils, la promesse repose avant tout sur d’autres types de fonctionnements inspirés par le web et les réseaux… Plus qu’une catégorie, le designer égraine un inventaire de sites allant des plateformes pétitionnaires Change.org à We Sign It ou Avaaz ; les plateformes de signalement et de dialogue élus citoyens comme Tell my City, Fluicity, Communecter, Parlement & Citoyens, Demodyne, Civocracy, Questionnez vos élus, Politizr, la Fabrique de la loi, Baztille ; de débat et de médias comme Le Drenche ; de mobilisation citoyenne comme Fullmobs ; de vote comme Multivote, Democracy OS (et son équivalent Américain), Loomio, Assembl

Stig est une plateforme de consultation citoyenne dont le nom vient de la Stigmergie qui fait référence à des formes d’auto-organisation chez les fourmis et les termites, et qui prône des formes de contributions conduites par les idées plus que par les personnes. Pour son fondateur, les députés sont censés légiférer en fonction de la volonté générale. Or, ni les citoyens ni les élus ne connaissent cette volonté générale. C’est ce fossé, cette fracture que cherche à combler l’application sociale. Sur Stig, les citoyens proposent des idées, votent, les améliorent par amendement. Un algorithme classe les idées en tentant de mesurer leur intérêt général. Lancée en février, la plateforme a récolté 2000 contributions et 120 000 votes. Bientôt les citoyens pourront réagir aux décisions et votes des députés et l’application proposera aux élus des tableaux de bord pour mesurer le succès de leurs idées et les comparer à celui des idées des autres députés. La plateforme envisage aussi de lancer un service dédié aux associations et entreprises, leur permettant d’y développer des formes démocratiques ou des budgets participatifs. Eh oui, à l’heure où les interrogations sur les modes d’organisations impactent le monde de l’entreprise, les marchés s’élargissent !

7. Les fédérateurs

Armel Le Coz termine son jeu des 7 familles, par ceux qu’il appelle les « fédérateurs », ces organisations qui cherchent à fédérer les initiatives, qui organisent événements, rencontres et débats, travaillent à acculturer les acteurs et les décideurs. C’est le travail par exemple de démocratie ouverte, de l’Institut de la concertation, de Décider ensemble, de l’Union nationale des acteurs et structures du développement local, du Groupement national des initiatives et acteurs citoyens, du Pouvoir citoyen en marche, de Synergie(s) démocratique(s), …

Conclusion

Chercheurs comme porteurs d’initiatives expriment finalement un malaise commun, même si les réponses qu’ils apportent ne sont pas les mêmes.

Dans ce « bel exercice de dialogue interculturel » on voyait également d’autres choses. Que si les thuriféraires des Civic Tech peuvent paraître naïfs, ils ne sont pas du tout ignares. Au contraire. Si les plateformes qu’ils développent sont imparfaites, les questionnements et les débats qui y mènent sont eux bien plus argumentés. Ils ne se réduisent pas à l’imperfection des outils et des expérimentations.

Toutes ces innovations ne sont pas de même nature et n’ont pas le même impact. Les applications type pétition en ligne sont devenues des outils puissants, mais pour exister dans le paysage politique, pour dépasser leur milieu technique, encore faut-il que l’exécutif leur donne une reconnaissance, par exemple en permettant que les pétitions à partir d’un certain niveau puissent avoir un impact… On en est loin, et c’est certainement aujourd’hui, dans la configuration de nos institutions elles-mêmes, que perdure un vrai blocage.

En fait, la Civic Tech porte très mal son nom. Elle n’est pas une initiative technologique… Il me semble que la regarder sous l’angle des outils n’aide pas vraiment à comprendre ce qu’il se passe. Comme dans le monde des entreprises libérées (qui utilise d’ailleurs certains outils communs, mais pas seulement : souvent elles préfèrent avoir recours à des méthodes volontairement non technologiques), on est là face à des initiatives qui tirent le constat des limites de systèmes, de leurs dysfonctionnements et tente d’apporter des réponses… qui passent ou se mettent en visibilité par des outils technologiques. Ces réponses utilisent les capacités des outils pour réinterroger autrement les méthodes et processus organisationnels et démocratiques existants qui n’ont rien de vertueux ou d’exemplaires. En regardant les CivicTech, on se focalise sur les outils techniques, alors qu’ils ne sont que des moyens, des leviers pour questionner les méthodes d’organisation démocratiques. Bien souvent, l’angle technique masque complètement tous les autres processus délibératifs qui ne sont pas documentés par la technologie.

On peut certes trouver certaines de ces initiatives naïves ou maladroites ou partielles, reste que comme nuit debout ou les entreprises libérées, la technologie n’est pas l’angle sous lequel regarder ce qu’il se passe. Nous sommes plutôt confrontés à des innovations démocratiques ou des innovations civiques, qui cherchent à réinventer les formes démocratiques entre autres avec les outils d’aujourd’hui. C’est à la fois leur force et leur limite. C’est aussi ce qui explique peut-être que ces initiatives ne parviennent pas à percer le plafond de verre que l’économie a placé sur la démocratie : les rapports de force et les questions de pouvoir. »

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