Fiscalité écologique / environnementale

Le sujet de la fiscalité comme moyen au service de la transition écologique peut sembler très aride de premier abord. Il s’agit pourtant d’un moyen très puissant s’il est bien pensé et mis en œuvre pour orienter les comportements des entreprises, des particuliers et des collectivités vers une trajectoire de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre (GES), de protection de la biodiversité et d’élimination des pollutions.
NB : cette fiche s’appuie sur des éléments issus du Réseau Action Climat, du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organisme associé à la Cour des comptes, et des sites d’information environnementale du gouvernement.

Présentation de la fiscalité écologique ou environnementale

La fiscalité écologique comprend l’ensemble des impôts, taxes et redevances dont l’assiette est constituée par un polluant ou, plus généralement, par un produit ou un service qui détériore l’environnement. Elle s’applique ainsi aux actions générant des dommages environnementaux : réchauffement climatique, pollutions, consommation de ressources rares, déchets… En les renchérissant, elle contribue à limiter les pollutions et les atteintes à l’environnement et représente ainsi un moyen de modifier le comportement des acteurs, selon le principe du « pollueur-payeur ».

La fiscalité environnementale regroupe près d’une quarantaine d’impôts et taxes sur des produits ou activités nuisibles à l’environnement, comme les énergies fossiles ou les émissions de polluants dans l’air et l’eau.

Plusieurs taxes environnementales ont prouvé leur efficacité. En particulier, les taxes sur la consommation d’énergies fossiles ont permis de réduire leur consommation en France et en Europe, en comparaison aux États-Unis notamment (même si cette réduction n’est pas du tout à la hauteur des enjeux). Une hausse de 10% du coût des énergies fossiles permet de réduire de 6% leur consommation à long terme, diminuant en même temps les nuisances associées : pollution atmosphérique, émissions de gaz à effet de serre… La tarification incitative des déchets constitue un autre exemple probant. Elle vise à faire payer le service d’enlèvement des déchets en fonction du poids réel de déchets produit par chaque ménage : moins un ménage produit de déchets, moins il sera facturé. Elle a permis de réduire de 30 % le volume de la poubelle grise là où elle a été mise en place (5 millions de Français couverts).

En 2018, le montant des recettes fiscales environnementales s’élevait à plus de 56 milliard d’euros, contre près de 41 milliards en 1995 (en euros constants).

Parmi les quatre catégories de taxes environnementales pesant sur l’énergie, les moyens de transport, les pollutions ou les ressources, les taxes énergétiques sont de loin les plus importantes : en 2018 en France, elles représentent 82 % de l’ensemble des recettes de la fiscalité environnementales (soit plus de 46 milliards d’euros). Cette situation s’explique en grande partie par le montant de la TICPE (Taxe Intérieure de Consommation des Produits Énergétiques) qui représente 70 % de l’ensemble de la fiscalité énergétique.

Les taxes sur les transports constituent la deuxième catégorie la plus élevée avec 12% des recettes (6,8 milliards d’euros). Cela concerne principalement les taxes sur les certificats d’immatriculation automobiles ou sur les opérateurs du transport (concessionnaires d’autoroute, aviation civile).

Les taxes portant sur les pollutions émises ne représentent que 5% des recettes (2,7 milliards d’euros) et celles portant sur le prélèvement des ressources naturelles moins de 1% (445 millions d’euros), en raison notamment de la faible activité extractive de la France.

En 2018, en France, les recettes des taxes environnementales s’élèvent à 2,4 % du PIB, au même niveau que la moyenne des pays de l’UE. Selon ce critère, la France se classe au 17ème rang européen (sur 28), à un niveau proche de celui du Royaume-Uni ou de l’Autriche. Certains pays, notamment du nord de l’Europe (Danemark, Pays-Bas, Finlande) disposent d’une fiscalité environnementale plus développée, conduisant à des recettes nettement supérieures (3,6 % du PIB au Danemark).

À l’inverse, plusieurs pays de l’OCDE non européens, comme le Canada, l’Australie ou les États-Unis, ont des recettes de taxes environnementales plus faibles qu’en Europe, en raison de taxes sur l’énergie, notamment sur les carburants, significativement plus faibles.

La fiscalité écologique permet de diminuer d’autres types de fiscalité : en taxant la pollution, on peut réduire d’autant les taxes sur le travail, l’investissement ou l’innovation. La fiscalité écologique induit dans ce cas un « double dividende » : un dividende écologique, d’une part, avec une baisse des comportements néfastes à l’environnement, et un dividende économique d’autre part, où la baisse concomitante des taxes pesant sur le travail ou sur le capital permet de relancer l’activité et de rendre le système économique globalement plus performant.
Enfin, elle constitue également dans certains cas une fiscalité de transfert, où les recettes perçues au titre d’une taxe environnementale vont être allouées au financement d’une politique publique environnementale. Tel est le cas par exemple des redevances perçues par les agences de l’eau, qui sont affectées aux politiques de gestion des ressources en eau et à l’amélioration de leur état écologique et sanitaire.

Le financement des recettes environnementales est assuré principalement par les ménages (56 %), devant les industries manufacturières (11 %), les services (11 % également), le secteur des transports et de l’entreposage (8 %).
Le reste des financeurs (13 %) se répartit entre les autres secteurs d’activité (commerce, agriculture, construction, etc…).
Les recettes de cette fiscalité peuvent être perçues par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres affectataires (principalement, les Comptes d’affectation spéciale ou des opérateurs de L’État (ex Agence de l’eau).

Les principaux financeurs des taxes environnementales en 2018 (source : SDES)

Au cours des dernières années, la fiscalité environnementale a évolué pour soutenir la transition écologique. Le gouvernement a mis en place une instance de concertation avec les parties prenantes pour accompagner ces évolutions, le comité pour l’économie verte. Il réunit des représentants de l’administration, des organisations patronales, des syndicats, des associations environnementales, des associations de consommateurs, du parlement national et européen, des collectivités locales. Il est animé par des experts (juristes et économistes).
Il produit des avis, généralement adoptés à l’unanimité, sur le champ de la fiscalité environnementale, du financement de l’économie verte, et d’autres instruments économiques (labellisation, marchés de permis, certificats d’économie…).

Deux évolutions récentes emblématiques illustrent ce soutien.

  • D’abord, les taxes sur les énergies fossiles intègrent depuis 2014 une composante carbone, qui permet d’établir un « prix du carbone », en complément du marché européen d’échange de quotas d’émissions de dioxyde de carbone (CO2). Le prix du carbone constitue un puissant levier pour orienter les décisions des agents économiques vers des solutions à bas contenu en carbone et lutter contre le réchauffement climatique. Fin 2017, la trajectoire initialement prévue a été rehaussée et fixée jusqu’en 2022 : de 44,6 euros par tonne de CO2 en 2018, elle atteindra 86,2 euros par tonne de CO2 en 2022.
  • Ensuite, le gouvernement a engagé depuis 2014 une politique de convergence de la taxation entre l’essence et le gazole. En effet, les véhicules diesel génèrent davantage de problèmes de pollution de l’air que les véhicules essence, mais la fiscalité sur les carburants est dans un rapport inverse, le gazole ayant été moins taxé que l’essence. Le différentiel de taxation entre gazole et essence, qui atteignait 17 cent d’euro par litre en 2014, a été réduit à moins de 9 cent d’euro par litre en 2018 et sera totalement annulé en 2021.

Enjeux

Pour le Réseau Action Climat, la fiscalité rime encore trop peu avec climat et écologie en France. Malgré la TIPP, le prix du pétrole est trop bas pour inciter à la maîtrise de la consommation d’énergie fossile et la diminution des émissions de GES. Les échecs de la mise en œuvre de la taxe carbone (notamment illustrés par le mouvement des Gilets Jaunes), taxe pourtant fondamentale pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, montrent également le besoin crucial de prendre en compte la justice sociale et prévoir les conséquences pour une grande partie de la population « captive » de comportements très consommateurs de carbone.

Par ailleurs, le prix du carbone quand il existe en France ne s’applique que sur un tiers des émissions de CO2 environ. Les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre comme les raffineries, le transport routier et le transport aérien bénéficient de subventions qui accentuent leurs pollutions et grèvent le budget de l’État dont les dépenses pourraient financer la transition écologique.

De manière générale, si on compare les recettes de la fiscalité environnementale avec les dépenses de subventions d’activités polluantes, on découvre que le système fiscal français est très défavorable à l’environnement, en comparaison avec nos voisins européens.

Axes de solutions

Selon le Réseau Action Climat et le Conseil des prélèvements obligatoires rattaché à la Cour des Comptes propose dans un rapport de septembre 2019, la réforme fiscale pour une transition écologique juste doit s’appuyer sur plusieurs piliers :

  • Définir une stratégie d’ensemble claire pour les politiques publiques en faveur du climat (la fiscalité étant un moyen au service de ses politiques), articulant efficacement l’ensemble des instruments fiscaux ainsi que les différents outils de la politique en faveur du climat : marchés de permis, normes, subventions. Les pollutions d’une autre nature, comme la pollution de l’air, la congestion routière et les nuisances sonores, devraient être appréhendées par d’autres instruments, éventuellement fiscaux.
  • Reprendre une trajectoire de fiscalité carbone, avec une assiette élargie pour inclure toutes les consommations fossiles. Il faut en outre revoir les exemptions du transport aérien et maritime, les mécanismes de remboursement du secteur routier et les taux réduits applicables au gazole non routier dans la perspective d’un alignement progressif sur le droit commun.
  • Afficher la visée comportementale de la fiscalité carbone avec plus de clarté. Ainsi, elle pourrait être transformée en un instrument autonome, dissocié des impôts de rendement que sont les taxes énergétiques.
  • Supprimer le plus rapidement possible les niches fiscales qui subventionnent les énergies fossiles et confèrent aux secteurs les plus polluants un avantage.
  • Enfin, grâce aux recettes de la fiscalité écologique, accompagner les secteurs et acteurs au moyen d’aides spécifiques, notamment pour les plus vulnérables. La réussite de la reprise d’une trajectoire carbone en France est conditionnée à une meilleure prise en compte des facteurs d’acceptabilité, tout en veillant à ne pas accroître le niveau global des prélèvements obligatoires. En fonction de la trajectoire retenue, des mesures compensatoires pourraient être créées, de façon transitoire ou pérenne, sous une forme forfaitaire ou ciblée en direction des ménages et des entreprises les plus vulnérables. Il importe néanmoins que ces mesures compensatoires ne servent pas à subventionner l’usage des énergies fossiles, ce qui dégraderait le signal-prix recherché par la fiscalité carbone.
  • Parallèlement, il sera possible de lancer des investissements publics dans les grands chantiers, créateurs d’emplois, de la transition écologique.
  • Sans nécessairement recourir à une affectation juridique du produit de la taxe carbone, un suivi transparent de l’usage des recettes doit pouvoir être porté à la connaissance des contribuables.
  • Inscrire autant que possible l’action de la France dans un cadre européen et international.

Concrètement, voici deux exemples de justice fiscale qui permettraient de collecter des fonds pour financer la transition écologique et sociale.

Un mécanisme inventé dans les années 1970 par James Tobin (prix Nobel d’économie 1972), la Taxe sur les Transactions Financières (TTF), n’est toujours pas appliquée. Le principe est très simple, il s’agit de taxer à un très faible pourcentage de la valeur de chaque transaction financière pour collecter des financements qui peuvent être alloués à la transition écologique et sociale, à des politiques en faveur de la santé, etc. Aujourd’hui, la plupart des biens et services que nous consommons ont une TVA de 20% (ou au minimum 5,5%), pourtant les transactions financières sont taxées… à 0,0% dans la plupart des pays européens (la France en a mis une en place !
Le potentiel de la TTF est considérable. En taxant seulement 0,1% d’actions et 0,01% de produits dérivés et d’obligations dans l’Union Européenne, nous pourrions collecter chaque année 57 milliards d’euros par an, et ce même après le Brexit et en temps de crise économique.

Autre exemple, dans le cadre du projet de loi de finances 2021 qui inclut le plan de relance 2021 du gouvernement, débattu et voté cette semaine à l’Assemblée nationale, Greenpeace France propose une mesure concrète pour aller vers plus de justice sociale et environnementale : rétablir un impôt sur la fortune, qui soit indexé sur les émissions de gaz à effet de serre induites par les placements financiers des ménages les plus riches.
La fiscalité des ménages doit évoluer dans deux directions complémentaires : augmenter la contribution des ménages les plus riches qui, en raison de leur consommation et de leur patrimoine financier, ont une empreinte carbone plus importante. En ce sens, Greenpeace France propose de renforcer l’effort contributif des ménages les plus aisés par la création d’un ISF climatique dérivé de l’ISF en vigueur jusqu’en 2017.

D’après les estimations de Greenpeace, le patrimoine financier des ménages assujettis à l’ISF en 2017, avant sa suppression, était associé à l’émission annuelle de 97 millions de tCO2eq. L’introduction d’une composante carbone (au niveau actuel de la taxe carbone : 44,6 euros / tCO2eq) appliquée à l’empreinte carbone moyenne des placements financiers de ces ménages permettrait ainsi de rapporter environ 4,3 milliards d’euros à l’État chaque année.
Une telle mesure aurait le mérite d’être percutante : elle inciterait en effet les ménages les plus fortunés et les plus émetteurs à se désinvestir des activités les plus polluantes en décarbonant leur patrimoine.

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