Démographie

La maîtrise de la croissance démographique est souvent présentée comme un levier majeur sinon LE levier principal d’une diminution drastique des émissions mondiales de GES, et il s’agit d’une question souvent taboue parmi les écologistes.

Cette thèse repose pourtant sur des énoncés implicites faux

(les pays pauvres à forte natalité représentent une très faible partie des émissions mondiales de GES et seront par contre très impactés par les conséquences du changement climatique), sur une sous-estimation de l’urgence (la démographie a une inertie de dizaines d’années alors que l’urgence absolue est là), et sur la dissimulation de la réalité (c’est un changement considérable du mode de vie consumériste des pays riches, fondé sur l’extractivisme et les énergies fossiles, qu’il faut enclencher, mettre l’accent sur la démographie des pays pauvres pour résoudre la crise climatique est une manœuvre de diversion malhonnête qui s’apparente de plus à du néocolonialisme.

Quand beaucoup de gens mentionnent la démographie et l’environnement ils sous-entendent “si ces braves gens en Afrique ou en Inde pouvaient rester dans la misère et arrêter de se multiplier, nous pourrions continuer à polluer comme si de rien n’était”.

La longue analyse citée en première source examine cette question, dont la conclusion est reproduite ci-dessous :


« Quand beaucoup de gens mentionnent la démographie et l’environnement ils sous-entendent “si ces braves gens en Afrique ou en Inde pouvaient rester dans la misère et arrêter de se multiplier, nous pourrions continuer à polluer comme si de rien n’était”. C’est en tout cas ce que laissent penser la plupart des illustrations sur le sujet, comme vous avez pu le constater si vous avez suivi les nombreux liens de cet article. Nous avons pu voir à quel point ce sentiment est faux.

La grande majorité du poids écologique de l’humanité provient des pays riches à faible fécondité.

L’évolution de la population dans les pays pauvres n’y changera pas grand-chose, même s’ils ont à gagner à accélérer leur transition.

La démographie a de toute façon trop d’inertie pour pouvoir être infléchie fortement et assez vite pour faire une différence assez rapidement : l’urgence, c’est 2050. Nous avons calculé que la marge de manœuvre principale ne pourra être que le mode de vie, qui devra de toute façon changer profondément quelle que soit la population. A titre individuel avoir des enfants n’est pas neutre mais peut représenter un poids écologique limité s’ils vivent de manière soutenable.

J’espère que cet article contribuera à éliminer les nombreux contresens qu’on lit régulièrement sur le sujet. Les chiffres “mentent” parfois, des calculs justes numériquement peuvent dire l’inverse de la réalité, en particulier les moyennes qui regroupent des situations très différentes. Même “la science” peut être trompeuse, nous avons croisé plusieurs publications scientifiques dont le résumé, sans être à proprement parler faux, masque les limites importantes des conclusions. Malheureusement ces conclusions ont été reprises et amplifiées dans le débat public. Il faut se pencher sur les détails des articles, en général payant, ce qui demande des compétences rares et beaucoup de temps, et ne pas se limiter à l’étude qui soutient son propos. Quant aux publications grand public, je me suis infligé un certain nombre d’articles et livres anti natalistes lors de mes recherches : pas un seul ne s’interroge sur les moyens réalistes de réduire la population dans les pays riches, ni sur le poids relatif de cette réduction par rapport aux objectifs climatiques …

Notez que je n’ai jamais nié l’intérêt climatique d’avoir moins d’enfants, qui n’est pas négligeable … si l’on est prêt au moins à instaurer l’enfant unique dans les pays riches. Je l’ai juste fortement relativisé par rapport à la situation actuelle, la faisabilité politique des mesures et des limites éthiques raisonnables. Je n’ai pas non plus répondu directement aux questions pièges “la démographie est-elle un problème” ou “sommes-nous trop ?”, car elles sont peu rigoureuses et emmènent sur une pente séduisante mais extrêmement glissante : il suffirait de réduire suffisamment la population (“les autres”) pour pouvoir garder notre niveau de vie comme si de rien n’était. Il est évident que nous sommes “trop” si l’on considère notre mode de vie comme non négociable, mais la bonne question est plutôt “comment, à partir de la situation actuelle et en restant dans un cadre éthique, arriver à une situation soutenable écologiquement pour l’humanité ?” Je ne pense pas que le monde à 1 milliard d’habitants où l’on en a tué 7 milliards (car il n’y a pas d’autre moyen pour réduire rapidement la population) est meilleur que le monde à 8 ou 10 milliards d’habitants qui se serrent la ceinture, mais c’est une position éthique et chacun est libre de ne pas la partager.

Mon sentiment est que le débat sur la démographie nous détourne de l’injustice criante du réchauffement climatique (les pays à forte natalité sont aussi ceux qui en souffriront le plus alors que leur responsabilité est minime) et fait oublier les vrais problèmes : comment réduire notre empreinte écologique et comment partager de manière juste la capacité écologique de notre planète entre tous ses habitants. Pire, il nous fait oublier notre échec collectif à agir et laisse espérer une solution “en réduisant les autres” qui nous épargnerait tout sacrifice de notre confort ou de notre niveau de vie. On sait où cela nous amène, et cela ne se termine pas bien. La similitude avec les scénarios les plus convaincants d’effondrement écologique et social est troublante.

Enfin l’écologie n’est pas qu’un sujet technique, c’est aussi un dilemme politique de solidarité intergénérationnelle : à quel point sommes-nous prêts à sacrifier notre niveau de vie aujourd’hui pour éviter une catastrophe très probable aux générations jeunes et futures ? Dans ce cadre, avoir des enfants peut être une bonne motivation pour ce sacrifice, quel que soit leur nombre. Nos enfants sont un des rares moyens d’avoir de l’espoir, de nous projeter vraiment dans le long terme, de souhaiter et construire un monde meilleur. On peut être irresponsable ou résigné pour soi-même, on n’a pas le droit de l’être pour ses enfants. »

(Emmanuel Pont, « Démographie et climat », Enquêtes écosophiques, 16/07/2019)

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