Rosa (Hartmut)

1965- ?, Allemand

Hartmut Rosa est un sociologue et philosophe allemand, qui enseigne à l'université Friedrich-Schiller d'Iéna. Il y a été porte-parole du groupe de recherche financé par la Fondation allemande pour la recherche "Landtake, Acceleration, Activation (Post-Growth Society)", qui traite de la critique de la croissance.

En 2010, Hartmut Rosa publie, en anglais, une synthèse de sa réflexion sur l’accélération sociale qu’il articule à l’idée marxiste d’aliénation. Le titre complet est « Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive ». Rosa y affirme une évolution de la société occidentale moderne depuis les années 1980, raison pour laquelle il nomme l’âge qui s’ouvre « modernité tardive » (pour indiquer que le cadre général est toujours celui de la modernité mais qu’elle subit une inflexion particulière depuis cette époque).

Dans son introduction, Rosa présente son projet, à savoir un essai sur la vie moderne pour répondre à la question : qu’est-ce qu’une vie bonne ? — et pourquoi nous fait-elle défaut. Cet essai se déploie à partir de la logique de l’accélération sociale envisagée comme aliénation.

Rosa propose de distinguer trois catégories d’accélération sociale :

  • L’accélération technique, c’est-à-dire une accélération intentionnelle de processus orientés vers un but, dans les domaines des transports, de la communication et de la production, dont l’effet est la compression de l’espace par le temps (par exemple : plus de kilomètres parcourus en moins de temps).
  • L’accélération du changement social (attitudes, valeurs, modes, relations et obligations, groupes, etc.) caractérisée par une compression du présent, en particulier dans le travail (plusieurs métiers en une vie) et dans la famille (divorces).
  • L’accélération du rythme de vie, manifestée par la famine temporelle qui se manifeste par l’augmentation du nombre d’actions ou d’épisodes par unité de temps, conséquence du désir de faire plus en moins de temps. Le paradoxe est que l’accélération technique devrait augmenter le temps libre (courriel, voiture, lave-linge) mais les activités ainsi rendues possibles croissent plus, d’où l’impression de manquer de temps.

Alors que dans « Accélération. Une critique sociale du temps », il montrait comment la modernité résulte d’une tension entre forces d’accélération et forces de freinage, son dernier essai, « Rendre le monde disponible » (2020), analyse notre société moderne à travers le prisme de la disponibilité et de l’indisponibilité. Le rapport de l’homme moderne au monde, affirme Rosa, est défini par le désir de rendre le monde toujours plus largement disponible, c’est-à-dire de le rendre d’abord connaissable, puis atteignable physiquement, maîtrisable, et enfin, utilisable. Ainsi, les moyens de transports mettent à notre disposition plus d’espace ; les médias et moyens de communication rendent le monde massivement visible et audible, les innovations technologiques nous permettent de voir la Lune ou d’accéder au savoir et aux biens culturels du monde entier, etc.

Toutefois, observe le sociologue, l’extension du domaine du disponible ne nous rend pas pour autant le monde moins hostile. Au contraire, il se dérobe à mesure de nos tentatives de le mettre à notre portée, il devient « illisible et muet », car « la vitalité, le contact et l’expérience réelle naissent de la rencontre avec l’indisponible. Un monde qui serait connu, planifié et dominé serait un monde mort ». La recherche de disponibilité qui caractérise la modernité mène à une indisponibilité totale, soutient Rosa : l’homme et le monde « se font face avec indifférence ». Ce paradoxe s’illustre par exemple dans les relations humaines au sein des villes : là où tout est à portée de main, la rencontre entre les gens s’opère « sur le mode d’une retenue existentielle et même d’une aversion latente, c’est-à-dire d’une attitude signifiant “laisse-moi en paix!” ». Cette absence de relation entre soi et ce qui nous entoure, précise Rosa, correspond à ce que Marx, puis Hannah Arendt, qualifient d’aliénation.

Que serait alors un rapport harmonieux avec le monde, se demande le philosophe ? Pour répondre à cette question centrale, il mobilise le concept de résonance, forgé dans son livre éponyme paru en 2018. Cet autre rapport au monde, opposé à l’expérience de l’aliénation, consiste à se laisser interpeller intérieurement par quelqu’un ou quelque chose, à y répondre spontanément de sa propre voix (par une émotion, un regard…), et à se laisser transformer par cette rencontre. La résonance se définit par son caractère imprévisible et incontrôlable, elle est donc constitutivement indisponible : à l’instar du sommeil, plus on s’évertue à la provoquer, moins elle advient. C’est ce qui explique le sentiment de vide qui peut surgir lorsqu’on organise un dîner aux chandelles, qu’on met tout en œuvre pour créer des conditions que l’on croit idéales pour que deux êtres entrent en résonance, et que précisément, le moment paraît fade. De même, « nous pouvons certes acheter le coûteux safari dans le Sahara ou la croisière, mais pas la résonance avec la nature ». Cette indisponibilité de la résonance est source d’agacement et de frustration pour l’homme moderne, voire de désespoir.

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