Progrès

Définition du progrès par le Larousse : "Évolution régulière de l'humanité, de la civilisation vers un but idéal."

Citations

Pour commencer, proposons deux visions radicalement opposées du progrès.

Extrait de Pierre Rabhi dans « Vers la sobriété heureuse » de 2010, Acte Sud :  » Le progrès : entre mythe et réalité » :

« La technologie et les nombreuses innovations qui fascinent le monde actuel, sous la bannière d’un progrès pour tous qui se révèle n’être qu’un mythe, ne sont que les avatars d’un principe de nature quasi métaphysique. On découvre notamment, derrière les apparences séduisantes d’une ère censée libérer l’espèce humaine, une idéologie fondée sur la célébration d’un démiurge occidental autoproclamé, un être qui s’est voulu l’égal des dieux de l’Olympe par la seule puissance de la raison, dont la Grèce antique déclarait et chantait déjà la suprématie. Ce postulat, renforcé par des théories matérialistes péremptoires, a réduit à la portion congrue, et même, avec le matérialisme intégral, évacué de la nouvelle pensée née sur le terreau occidental ce qu’on appelle la spiritualité. Conséquence de présupposés métaphysiques érigeant l’homme en roi, la subordination de la nature fut déclarée, et le principe d’une planète ravalée au rang de gisement de ressources à exploiter définitivement établi comme norme. Une pensée libre de tout conditionnement qui se représenterait les conséquences désastreuses que cette norme allait provoquer sur les fondements du progrès pourrait légitimement se demander si la nature n’aurait pas fait advenir l’humain à seule fin d’en être meurtrie. Comment admettre une hypothèse aussi absurde ? Il n’en reste pas moins vrai qu’en s’attribuant le statut de prince de la création, le démiurge a consenti à ses pulsions prédatrices un champ qui n’a d’autres limites que celles de la planète tout entière ».

Discours de Jacques Chirac sur le progrès en 1976 :

« Le progrès, aujourd’hui, consiste à donner à chaque citoyen une maîtrise accrue sur sa vie quotidienne. Les peuples en marche vers la démocratie se sont d’abord débarrassés des barons et des princes qui monopolisaient le pouvoir. Par l’élection, expression périodique de la démocratie, ils ont obtenu de choisir les représentants qui exercent ce pouvoir en leur nom. Le moment est désormais venu où cette forme de démocratie apparaît à son tour insuffisante. Les citoyens veulent aujourd’hui passer de l’exercice périodique de la démocratie à des formes originales de démocratie du quotidien. Vous sentez bien autour de vous cette aspiration de plus en plus pressante de chacun à choisir sa vie, sa maison, sa rue, son travail et l’organisation de son travail.

La démocratie que nous devons inventer doit permettre l’exercice continu de la responsabilité individuelle, ce qui suppose une transformation profonde de l’Administration, de ses méthodes, de ses structures.

C’est le cas de la participation. Vous savez combien cette idée nous est chère. Pour être effective, la participation suppose non seulement un droit à l’information, l’accès aux responsabilités, mais également une meilleure diffusion de la propriété par l’association de tous au capital. Voilà les bases de la véritable et nécessaire réforme de l’entreprise ».

 

Approche critique

Large, large sujet que le progrès. Combien d’« avancées » sociales, techniques, démocratiques, économiques, ont- elles été défendues depuis l’époque des lumières au nom du progrès ? Il serait possible d’en écrire quelques lignes ou d’en faire des listes à la Prévert. Alors comment trancher ? Comment rester bref sans être trop succinct, simpliste ? Il ne s’agit pas ici d’en retracer toute l’origine, toutes les définitions qui en ont été données, tous les débats doctrinaux, tous les conflits d’écoles qui ont eu lieu en son nom. Non. Il s’agit simplement d’en apporter une approche critique. Critique, non dans le sens où il faudrait le bannir. Critique dans le sens où il s’agit de le remettre en perspective, le questionner, le faire descendre de son piédestal. En somme, le démystifier.

Commençons d’abord par nous interroger sur ce qu’est réellement le progrès. De la démocratie au néo-libéralisme, de la fin du travail des enfants à la possibilité de travailler le dimanche, de l’IVG à la 5G, de la conquête des continents au décolonialisme, tant d’innovations parfois contradictoires ont été justifiées au nom du progrès. Le progrès n’est-il qu’une opinion conjoncturelle au sujet d’une innovation perçue comme une amélioration ? Une opinion sur le progrès qui vaudrait à une époque donnée peut-elle se retrouver contredite quelques décennies plus tard, toujours au nom du progrès, mais parce que le contexte ne serait plus le même ? Les conservateurs d’aujourd’hui défendent ils les combats progressistes d’hier ? Le progrès serait-il un concept fourre-tout, évolutif à la demande ?

Si on en revient à la définition du Larousse, le progrès serait une évolution « régulière » vers un « idéal ». Il y a dans cette définition une approche linéaire du progrès, presque objective. Comment être sûr d’avoir raison, tant sur le coup qu’après le passage du temps ? Au contraire, si nous ne sommes sûrs de rien et que tout ne nous semble qu’une succession de choix hasardeux et arbitraires, comment ne pas nous inscrire dans une approche qui consisterait à refuser toute action considérée comme une fuite en avant ?

Rendons à César ce qui est à César. Le progrès a permis de belles avancées. Selon des approches globalisantes, il a permis de hausser les niveaux de vie, mettre fin à l’esclavage par les pays occidentaux, faire reculer la famine, juguler un grand nombre de maladies, nous permettre de communiquer avec n’importe qui partout sur la planète, faire Paris-New York en 7 heures d’avion, aller sur la Lune, bénéficier d’une assurance maladie et d’un droit à la retraite, mieux comprendre le fonctionnement du corps humain, avoir le droit d’exprimer son opinion, offrir à un nombre croissant de petits et grands enfants la possibilité de s’émerveiller devant le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry par le simple fait d’avoir appris à lire.

Pourtant, à chacun de ces éléments il est possible de rétorquer un « effet pervers ». Surtout à quel prix ces « avancées » se sont-elles faites ? L’effondrement de la biodiversité ouvre-t-il le débat sur le fait qu’il puisse s’agir d’une victoire à la Pyrrhus ? Comme Icare s’envolant vers le Soleil, sommes-nous punis d’avoir cru que nous pouvions tendre vers un « idéal » sans accepter nos limites ?

En effet, la marche en avant du progrès technique est aujourd’hui cruellement mise face à son œuvre cachée : les bouleversements environnementaux et les heurts sociaux qui en découlent. Les « causes », « méfaits », « externalités négatives », « effets pervers » du progrès, appelez les comme vous voulez, invitent à adopter une approche critique et conscientisée à son égard. Les données scientifiques sont sans appel. Dès lors, que penser de tous ceux qui; à travers les époques; se sont battus contre certaines avancées et qui ont été considérés comme des obscurantistes, des oiseaux de mauvaises fortunes, des conservateurs ou des grincheux ? Etaient-ils des précurseurs, des visionnaires, des sages ? Et les progressistes, les savants, les scientifiques, les philosophes des lumières, étaient-il des inconscients, des mégalomanes, des cyniques, des apprentis sorciers ? L’opposition entre les progressistes et les conservateurs a-t-elle d’ailleurs encore un sens aujourd’hui ? Que retiendra l’histoire dans 50ans de toutes ces aventures ? Et dans trois siècles ? Lourdes questions sans réponse évidente.

Cause de tant de combats politiques par le passé, le progrès semble aujourd’hui révéler ses failles et ses ambiguïtés. La foi dans le progrès anime certains dans l’espoir de nous sortir de toutes nos galères. Dans le même temps, c’est la somme des progrès techniques qui ont engendré la situation actuelle, tant inédite par ses succès que critique par ses conséquences dévastatrices en cours et à venir. Cause et solution de nos problèmes, le couple science et progrès est-il un pompier pyromane par essence ?

Il serait injuste de dire que ces questions n’ont jamais été posées. Le principe de précaution introduit par le sommet de Rio en 1992 nous invite à adopter une approche critique vis à vis des progrès techniques. Chaque avancée technologique doit être évaluée au regard de ses conséquences sociales et environnementales potentielles. Prêt de 30 ans plus tard, quel constat tirons nous de l’application de ce principe ? Suffisant ?

Répétons-le encore, de tels questionnements sont très durs à l’encontre de ceux qui nous ont précédés. Beaucoup de générations se sont battues avec bonne foi et courage pour que l’avenir de leurs enfants soit meilleur que le leur. La tendance à vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain est-elle une forme d’indignité ? Pour faire preuve de justesse, Bruno Latour nous invite à atterrir et faire le choix entre ce que nous voulons garder et qui nous semble superflu. Un travail de recul saluable.

Peut-être qu’il serait également plus juste de considérer que le problème ne vient pas tant du progrès en tant que tel mais ce qui a été fait en son nom. Comme de nombreuses inventions humaines, le progrès est un imaginaire collectif qui a été élevé au rang de mythe. Beaucoup ont cru, et croient encore que rien ne peut l’arrêter, au point de ne plus le remettre en question. Les problèmes provoqués par le progrès ont certainement pour causes les projections qu’on a mise derrière, les ambitions personnelles maquillées en son nom, et la foi inébranlable qu’on a pu lui faire, laissant peu de place au doute. C’est ainsi que la puissance matérielle acquise par le progrès lui a permis de s’imposer sur les autres croyances et sagesses cherchant à donner un autre sens à la vie réussie. Désormais que nous expérimentons les limites du modèle et visionnons avec angoisse ce que pourraient être ses conséquences, l’expérience valait elle le coup ?

A l’heure où les perspective d’avenir à l’échelle globale ne sont plus d’améliorer nos modes de vie mais d’éviter le pire, la notion de progrès offre-t-elle toujours une paire de lunettes adaptée pour nous saisir du monde d’aujourd’hui et celui à venir ? Alors que notre regard bascule vers d’autres horizons, il est permis de penser que la vision ascendante du progrès n’est pas forcément la plus adéquate. L’heure est venue de faire émerger d’autres imaginaires, qui un jour aussi connaîtront leurs propres limites.

Et puis, tout n’est pas perdu avec le progrès. Après tout, le progrès comme la croissance, ne sont que des outils de mesure. Tout dépend de ce qu’on considère comme important à mesurer (progrès technique, social, de l’avoir, du savoir, du savoir vivre, du savoir être, de nos liens, de nos amours, de notre bonheur), et la façon de le faire ! Et si le progrès consistait en le fait de sortir d’un monde violent et absurde dominé par l’avoir et le paraître, pour rendre à l’être et la douceur leur plus justes places ? Le même mot de progrès serait-il idoine pour qualifier dans la continuité de son utilisation, de si contradictoires approches ? Le débat reste entier !

Envie de rajouter quelque chose ?

Tu penses à une notion
qui n'est pas présente ici ?

SOURCES

Laisser un commentaire