Abriter

Selon le dictionnaire Larousse, abriter signifie : "Mettre quelqu'un, quelque chose à l'abri de quelque chose ; protéger" La notion d’abri dépasse l’approche simplement matérielle du logement. Le fait d'abriter comporte des questionnements sociaux et subjectifs qu’il s’agit d’aborder ici.
Pour ce qui concerne les innovations techniques liées aux logements à proprement parler, nous vous renvoyons vers la fiche sur le logement. Si l’abri est lié à la notion de protection : qu’est-ce que protéger ? qui protéger ? comment protéger ? quelles sont les incidences de cette protections ? Face à ces questions aux enjeux complexes, il ne se s’agit pas ici d’être exhaustif mais de soulever quelques éléments sur lesquels s’interroger pour tenter d’y répondre.

Présentation synthétique de quelques questionnements

Abri et solidarité

La notion de l’abri possède une relation intime avec les inégalités sociales, où de nombreuses personnes vivent dans la rue, ou dans des logements insalubres. En 2018, près de 200 000 personnes étaient sans domicile fixe en France. Par ailleurs, la Fondation Abbé-Pierre estimait lors de la même année 2018 à 3,6 millions le nombre de personnes :

  • privées de domicile personnel (895 000 personnes),
  • vivant dans des conditions très difficiles (privation de confort ou surpeuplement) (2 880 000 personnes),
  • se trouvant en situation d’occupation précaire (hôtel, caravanes…).

Ces chiffres sont à mettre en perspective avec les 3,3 millions de logements secondaires et les 2,9 millions de logements vacants en France en 2016.

Abri et relation au droit de propriété privée

L’apparente mauvaise répartition des logements entre les demandeurs et les logements disponibles pose des questions plus complexes qu’il n’y paraît. Proposer de remplir les logements vacants et maisons secondaires inoccupées paraît être du bon sens au regard des drames humains qui se jouent, mais interroge sur les droits fondamentaux au logement et à la propriété. C’est le rapport à la propriété privée qui s’interroge ici, avec toute la composante historique et symbolique de ce droit fondamental acquis lors de la Révolution française. Peut-on dépasser le symbole d’un des moments les plus marquants de l’Histoire française moderne ? Faut-il revenir sur ce droit et imposer aux propriétaires de remplir leurs logements inoccupés ? Faut-il amender ce droit, et permettre de larges exceptions à la propriété privée au-delà d’un certain seuil de subsistance ? Comment concilier les droits fondamentaux entre le droit à la propriété privée et le droit à la dignité ? Comment rééquilibrer le rapport entre propriété privée et publique sans que les tenants d’un statut quo qui leur soit avantageux n’avance l’idée que loger des personnes sans-abris dans leur maison secondaire en leur absence ne soit du communisme ou de l’autoritarisme ? Comment ne pas rester bloqué par les représentations que chacun se fait des grands combats historiques au sujet de de la propriété, avec les passions que cela entraîne ? Quelles conséquences auraient l’évolution du rapport à la propriété sur la perception que la France se fait de son Histoire et la philosophie des lumières ? Peut-on dépasser la dichotomie entre propriété publique et privée et réfléchir à la notion de « communs » avancée par Gaël Giraud et expérimentée en Suède ? On le voit, la notion d’abri nous renvoie aux éléments fondateurs de la Révolution, des lumières et de la démocratie française. Tenter d’y répondre n’est pas sans incidence sur notre pacte social.

Abri et émancipation

Au-delà du rapport à la propriété, la notion d’abri pose aussi des questions liées à l’émancipation des femmes et des jeunes.

  • Concernant l’émancipation des femmes, il est intéressant de noter que les divorces ont fait exploser le nombre de logements. En Ile-de-France par exemple, où la moitié des ménages sont divorcés, cela se solde la plupart du temps par une séparation matérielle où chacun part vivre dans son propre logement. Si nous venions à contraindre l’offre de logement pour stopper sa continuelle expansion et arrêter l’artificialisation des sols, cela aurait probablement des incidences sur le rapport au couple, et probablement au détriment de l’émancipation féminine. Le rapport n’était pas évident, et pourtant… Comment concilier ces intérêts ? Ces problématiques invitent à considérer la dimension sociale et partagée du logement de demain, dans une perspective de « communs ». Une réflexion est à mener autour de l’accueil dans des communautés plus appropriées de celles et ceux dont les relations personnelles nécessitent un départ du domicile pour être protégés.
  • Concernant la jeunesse, il est courant qu’un jeune qui s’émancipe de ses parents parte de chez lui pour voler de ses propres ailes. Il s’agit d’une représentation classique que l’on se fait de la réussite. Toutefois, ici non plus, cela n’est pas sans incidence sur la pression immobilière, notamment dans une société à la démographie constante. Ce modèle est-il durable, viable, souhaitable ? Faut-il revenir aux logements où cohabitent grands-parents, parents et enfants, comme cela peut se faire plus fréquemment en Espagne? Si les contraintes terrestres nous imposent plus de modestie dans l’utilisation des ressources, c’est le rapport au logement et à la projection des vies au cours des différents âges qui se pose. C’est notamment pour cette raison que de plus en plus de jeunes expérimentent les éco-colocs ou les colocations solidaires où ils peuvent s’émanciper tout en étant respectueux des problématiques sociales et environnementales en vivant au sein de communautés choisies.

Abri et bouleversements environnementaux : un triple questionnement

La question de l’abri comporte également un triple questionnement à l’aune des enjeux liés aux bouleversements environnementaux.

  1. D’une part, la rudesse du climat et les catastrophes naturelles vont mettre de plus en plus à l’épreuve les habitations existantes du fait des cyclones, orages, sécheresse, pluie diluviennes…. Nos logements existants et ceux à venir seront-ils en mesure de résister à l’extrémité des conditions à venir ? Surtout comment penser l’abri sur le long terme si l’environnement est appelé à s’emballer et à devenir rapidement de plus en plus hostile et évolutif ? Il s’agit de penser l’abri à l’aune de la notion de résilience.
  2. Par ailleurs, ces bouleversements environnementaux vont charrier leurs lots de migrations climatiques. Comment fournir des abris à ceux qui arriveront sur nos territoires ? Comment abriter les populations sur leur Terre ? Deviendrons nous nous même de futurs migrants climatiques ? Resterons-nous une population sédentaire ou sommes-nous à l’aune d’une génération de nomades ? Au contraire allons-nous nous ancrer davantage dans des territoires, au travers de circuits locaux plus résiliant ? Allons-nous voir les deux mouvements contradictoires se mettre en place en même temps ? Comment nous y préparer, nous y adapter ? Comment anticiper et limiter les drames humains annoncés ?
  3. Enfin, question environnementale et abri posent des questions en matière d’artificialisation des sols. Si nous réalisons que nos logements ne sont pas adaptés, ou que les populations sont mouvantes, comment faire avec l’habitat déjà construit et ne pas encore construire ailleurs, en artificialisant toujours plus ? Comment respecter les zones zéro artificialisation nette ? Ne peut-on pas repenser le logement pour qu’il ait un impact plus léger sur l’environnementaux, comme les tiny house ou les maisons dans les arbres sont aujourd’hui en train d’en faire l’expérimentation ? Penser à des logements à l’impact positif, s’inscrivant dans des circuits courts, des logiques de communs, de récupération et d’auto-production de nos besoins existentiels font partis des pistes à creuser.

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