Edito #3 : Revenir à l’essence du voyage (sans essence)

Nos Newsletters sont pensées dans le même esprit que le site de l’Arbre des imaginaires. Elles visent à mettre en perspective les approches pour prendre du recul sur son chemin de transition, et trouver des inspirations pour poursuivre son parcours. Chaque mois, nous aborderons un thème particulier en y apportant l'éclairage d'éléments puisés dans les ressources de l'Arbre.

Juin 2020

Et si l’aventure se trouvait à notre porte plutôt qu’au bout du monde ? Et si on réimaginait nos vacances et le voyage ? C’est ce que vous propose  l’éditorial de notre newsletter de juin !

– 15 mai

Ma première exploration a été virtuelle. L’encart publicitaire a attiré mon œil fatigué par la lumière bleutée à force de scroller. Un avion scintillant y fendait de sa fumée blanche le ciel sans nuages, surplombant une plage sortie d’un rêve. Le traditionnel cocotier était de la partie. La promesse : le repos pendant une semaine. Le lieu : la République dominicaine. Le prix : 800 € tout compris.

L’agence de pub a visé juste. Nous sommes en mai. Il me faut trouver une destination pour mes vacances ; la proposition m’a subitement donné très envie. Je dois réfléchir, et vite si possible pour ne pas que l’offre me file sous le nez.

Plus tard, dans l’amoncellement de papiers qui ont établi résidence permanente sur mon bureau, j’ai trouvé ce cahier noir, format poche, à peine griffonné de mots aléatoires, de pensées éloignées. Et c’est ici que commence ce carnet de voyages, là même où les lecteurs habituels de ces récits qui se veulent exotiques ne sont jamais conviés : chez l’auteur, au moment où il se triture le cerveau pour trouver LA destination de sa prochaine aventure estivale.

– 17 mai

J’ai vu Romain et Pauline à une soirée hier et évoqué avec eux mes projets de vacances. Ils m’ont parlé du Brésil qu’ils « avaient fait » l’année dernière pendant quinze jours. Le soleil carioca n’a pas quitté leurs yeux depuis, à en croire leurs éclats au souvenir des caipirinhas enfilées face au soleil couchant de Copacabana. Ni même les samba qui semblent encore bourdonner dans leurs oreilles. J’ai trouvé cette expression étrange en revanche, « faire un pays ». Le Brésil ne les a pas attendu pour être fait, pour exister, que je sache. Faire un pays en quinze jours… Est-ce bien sérieux ? C’est effectivement peu pour épuiser la culture d’un pays, sa cuisine, sa langue, sa géographie, les visages et les vies de celles et ceux qui le composent. Si tant est que ce soit possible en toute une vie. Ça laisse l’idée fausse qu’on peut consommer un pays et ses habitants comme un nouveau vêtement achalandé dans des boutiques aguicheuses.

En parlant de consommation, je n’ai pas pu échapper à la soirée diapo revisitée par les millenials, le défilé de selfies sur le téléphone de Romain. Sur celles de Rio, j’ai reconnu à l’arrière-plan certaines enseignes des mêmes magasins qu’ici : un peu de Zara, du McDonald’s, une pincée de Starbucks. On peut partir à l’autre bout de la planète et trouver les mêmes choses qu’au bout de sa rue. J’ai l’impression que ma périphérie est parfois plus dépaysante que l’hypercentre d’un pays exotique. Et si ça me donnait des idées pour mes vacances ?

Sur le chemin du retour, j’en suis venu à ce constat. Entre le repos de la République dominicaine et l’effervescence de Rio, il faut que je m’interroge sur pourquoi je veux partir. D’ailleurs, est-ce que j’ai vraiment besoin de me faire sept heures d’avion et le décalage horaire qui va avec pour trouver la quiétude ? Un billet de train pour des coins tranquilles en France, ça doit bien exister ?

 – 25 mai

S’il y a une étape bien pire que choisir sa destination, c’est bien négocier avec son chef ses périodes de congés. Trouver les dates qui conviendront à Laurent de la compta et sa garde alternée, Amel des RH et sa famille nombreuse, Théo du marketing qui fera des sauts de puce entre maisons d’amis et de famille, Sofia qui part entre copine, etc.

Au fond, ce temps suspendu que représentent les vacances m’apparaît comme une drôle d’idée. Une fausse idée de l’interruption car cette période ne sert pas vraiment à se décharger de son travail. Au contraire, il sert à le légitimer. Onze mois de travail comme pénitence, un mois de congés payés comme récompense. A peine reposé, déjà ré-accaparé par des machines, des algorithmes, des systèmes informatiques devenus trop rapides pour nous mais que l’on tente de rattraper coûte que coûte. Il serait temps de retrouver mon droit à la paresse dont parlait Paul Lafargue.

Les vacances d’état constituent une facette d’un temps qui s’accélère – débordé par les emails, les tâches domestiques, les devoirs du petit – et des cycles qui se cristallisent dans des rituels devenus immuels. J’ai lu ça d’un auteur allemand que je viens de découvrir, Hartmut Rosa.

Jadis, le voyage était long, extérieur au travail : c’était le grand tour des jeunes aristocrates. A mesure que les temps de trajet se sont raccourcis, les escapades se sont resserrées pour retourner au plus vite à des occupations productives jugées plus nobles.

Pourquoi ne pas sortir de la dichotomie travail/vacances ? Pourquoi ne pas imaginer d’autres manières de penser le repos ? Pourquoi ne pas envisager d’autres formes de voyage ?

 – 1er juin

J’ai laissé ce carnet sur des questions. Et leurs réponses tombent sous le sens..

A bien y réfléchir, il faudrait retrouver les sens des mots voyage et séjour qu’on a trop tendance à confondre. 

Le séjour, c’est la transplantation d’une vie d’un lieu A à un lieu B. En matière de vacances, elle est souvent courte comme me le suggérait la pub sur Internet. Dix jours, une semaine.

A peine arrivé et déconnecté, déjà réparti, rechargé pour l’année.

Le voyage, en revanche, c’est le déplacement entre les deux. Si j’étais provocateur, je dirais qu’il faut sortir de l’idée du premier et retrouver le second. Retrouver la distance, l’énergie et l’effort qu’il suppose. Retrouver l’inattendu, le pas de côté, le sentier non balisé. La rencontre improbable, loin de celle du serveur qui nous abreuvera de ti’punch pendant dix jours les pieds dans l’eau à la piscine. Je me souviens de cette citation : « C’est le propre des longs voyages que d’en ramener tout autre chose que ce qu’on y est allé chercher ». Elle est de Nicolas Bouvier. 

 – 15 juin

Même scène qu’il y a un mois. Même sursaut lorsque l’encart publicitaire m’a proposé cette fois-ci les vertes prairies de Normandie et Bretagne. L’itinéraire de l’Altertour me fera sauter comme une puce d’initiatives en initiatives. Cette fois-ci, cela ne m’a pas semblé factice, un ersatz d’exotique. J’ai acheté les billets de train sur le champ jusqu’au bout des petites lignes de chemins de fer réhabilitées par Railcoop. Départ prévu début juillet. Moins de loin, plus de liens.

Dans le bocage normand, s’écouter vivre, « libre de soucis, Sur un moelleux tapis de fougère  mousse,

Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse » (Théophile Gautier, Far-niente).

C’est donc ici que se termine ce carnet de voyage là où il devrait normalement commencer : au moment du départ. Pour les impressions que je tirerai de cette escapade, je laisse au lecteur le plaisir de les imaginer, pour que son cerveau infuse…

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