Edito #2 : « Santé et environnement »

Edito #2 : « Santé et environnement »

Nos Newsletters sont pensées dans le même esprit que le site de l’Arbre des imaginaires. Elles visent à mettre en perspective les approches pour prendre du recul sur son chemin de transition, et trouver des inspirations pour poursuivre son parcours. Chaque mois, nous aborderons un thème particulier en y apportant l'éclairage d'éléments puisés dans les ressources de l'Arbre.

Mardi 18 mai 2021

Le lien entre santé et environnement n’a jamais été aussi évident qu’aujourd’hui. Une pandémie mondiale nous rappelle que l’être humain, en interdépendance avec ses congénères mais aussi avec d’autres vivants et non vivants, ne peut pas considérer sa santé indépendamment de celle des écosystèmes qui l’entourent et le composent. La crise épidémique dans laquelle nous sommes plongés manifeste que la santé est d’abord un miroir. C’est le reflet à la fois de l’amas de cellules de notre corps mais également de l’environnement dans lequel nous vivons. Cette définition relève du concept de santé environnementale énoncée par l’OMS lors de la conférence d’Helsinki de 1994 , qui « comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement ». Dans cette vision élargie de la santé, il nous a donc semblé intéressant d’enquêter sur les liens que la santé peut entretenir avec l’environnement.

La santé a la propriété miraculeuse de se faire oublier quand elle est là.  En effet, ce n’est que lorsque l’on tombe malade que la réalité nous rattrape : nous avons perdu la santé et sommes passés d’un état à un autre, dégradé. 

Dans cet édito, nous nous concentrerons sur les imaginaires liés à la santé. Aujourd’hui, le sujet de la santé est saturée de campagnes marketing vantant les bienfaits de telle molécule qui nous permettrait de recouvrer la santé. Nous proposons de penser la santé de manière plus systémique, dans les liens qu’elle entretient avec notre environnement, dont les déterminants sont autant climatiques, économiques et sociaux que biologiques.

Santé et technique

La science et la technique ont permis des avancées considérables. Par la vaccination, la découverte de la génétique, les progrès en neurosciences, nous avons fait un bond en avant dans la connaissance de notre espèce. Par la consommation à outrance des énergies fossiles, qui représentent 81,3% du mix énergétique mondial en 2018*, la population mondiale a quadruplé en l’espace de 90 ans. Dans cette ère d’anthropocène, caractérisée par le fait que les activités humaines ont désormais une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre, la santé humaine est devenue subrepticement plus dépendante de son environnement. Cette dépendance a augmenté proportionnellement à notre capacité à transformer le monde qui nous entoure. Ainsi, la logique consommatrice et productiviste qui a suivi la révolution industrielle, mais aussi les conflits mondiaux, ont accéléré l’impact de l’environnement sur la santé. En 2012, 23% de la mortalité mondiale s’explique par des facteurs environnementaux. C’est le cas en premier chef des AVC, maladies cardio-vasculaires, traumatismes non intentionnels, cancers, maladies respiratoires. Selon l’OMS, cela représente environ 12,6 millions de décès par an. Cette mortalité, qui n’est certes pas la seule unité de mesure de l’état de santé, est néanmoins celle qui permet de mesurer au mieux les facteurs de risques et leurs impacts. Ainsi, la pollution de l’air, l’accès à l’eau et l’assainissement, les produits chimiques et les agents biologiques, les radiations, le bruit, les risques professionnels, les pratiques agricoles, les constructions et les changements climatiques exposent-ils à des risques différents selon leur utilisation et leur gestion par l’homme. Les populations pauvres sont particulièrement exposées à ces risques.

Le rapport à la mort

Ainsi, les comportements individuels ou collectifs transforment-ils notre environnement, notre climat, nos écosystèmes qui sont des biens partagés en commun. Pourtant, l’environnement n’est pas qu’un ensemble de déterminants objectifs qui nous est donné et que nous avons le devoir de préserver. Il est aussi modelé par les récits collectifs que nous en faisons. Par exemple, la présence de la mort, que le sociologues Norbert Elias s’attachait à décrire comme aseptisée et caractérisant un refoulé de nos sociétés occidentales, est devenu tout à fait insupportable. La mort n’est pas antinomique avec l’état de santé, puisqu’elle fait irrémédiablement partie de la vie de tout être vivant. Pourtant, elle semble faire l’objet d’un glissement qui consiste à agir non plus avant tout pour préserver la santé et la conserver ou la recouvrer, mais plutôt pour éloigner le plus possible l’idée de la mort. Ce glissement rend prépondérant la logique curative pour « soigner »  la mort, avec le risque de déresponsabiliser les hommes et leur impact sur leur santé et sur celle de l’environnement.

Santé et justice sociale

Le lien intrinsèque entre la santé et l’environnement, devenu patent voire catastrophique, pose la question de l’équité. Alors même que les pays en voie de développement sont historiquement ceux qui ont émis le moins de gaz à effet de serre, ils sont ceux qui se retrouvent à long terme confrontés aux conséquences du changement climatique, et qui sont les moins préparés à y faire face. Même dans les pays plus riches, comme aux Etats Unis, les inégalités sanitaires seraient en partie le reflet de ce que le sociologue Razmig Keucheyan appelle un « racisme environnemental ». Celui-ci expose davantage les populations pauvres ou minoritaires aux facteurs de risques sanitaires. 

Santé et croissance

La santé est fortement associée à la notion de croissance, du petit-d’homme à l’adulte, ou au principe de vie que sous-tend la régénérescence de nos cellules. Elle se trouve être aussi un déterminant fort de la croissance de nos systèmes économiques, tout comme elle est affectée par eux. En économie, l’analyse néoclassique envisageait les dépenses de l’Etat providence tournées vers la santé comme autant de charges permettant de garantir la paix sociale. Dans un retournement de perspective, la santé est devenue un levier de croissance économique et même un de ses facteurs essentiels : les dépenses publiques en santé sont alors considérées comme productives. La santé est alors entrée au « capital humain » au même titre que l’éducation et est considérée comme un facteur explicatif des « miracles » du développement connu par exemple en Asie. Elle constitue un « indicateur de développement » qui permet d’évaluer cette capacité de nos sociétés à préserver l’état de santé des populations.

Santé et bien commun

L’état de santé d’une population tout autant que le bien être qui l’accompagne, reflètent donc cette capacité collective de nos sociétés à préserver un bien commun. La préservation de ce bien commun s’organise donc  à l’échelle supra-individuelle. Elle s’évalue d’une part à l’aune de la capacité de nos systèmes de santé à soigner, mais aussi de nos politiques publiques à préserver et améliorer les déterminants de santé et à organiser un système à la fois préventif et curatif, à l’échelle tant locale, nationale qu’internationale. Cette conscience collective doit être d’autant plus aiguisée que la santé constitue un bien profondément individuel. 

Si nous devions décrire l’environnement idéal permettant de maintenir un état optimal de santé individuel, nous serions en grande difficulté. D’une part car cet état de santé dépend tout autant de l’environnement et des conditions de vie dont les populations disposent que d’une trajectoire de vie personnelle. Par exemple, si une personne est averse aux risques, elle pourra avoir la capacité de modifier son comportement pour ne pas subir des conséquences néfastes plus tard, et aura donc plus tendance à ne pas avoir de comportements « à risques » (tabac, drogue, alcool). D’autre part, parce que, malgré les fantasmes qu’elle suscite, la maîtrise de l’environnement par l’homme n’est pas complète : elle dépend de sa propre activité certes, mais également de la cohabitation avec une faune dont elle ne peut régir toutes les règles. Ainsi, l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) éclaire le lien entre les pandémies et la destruction de la biodiversité en rappelant que toutes les grandes pandémies (comme le COVID, qui constitue la 6ème grande pandémie mondiale) sont des zoonoses, c’est-à-dire des maladies animales transmises à l’homme. La surveillance des animaux « sentinelles des pandémie » met en avant, comme a pu le souligner l’anthropologue et Directeur au CNRS Frédéric Keck, l’importance de la transformation des relations entre humains et non humains, dans la prévention des pandémies, à l’ère de l’Anthropocène.

Dans la même logique et selon un autre prisme, le Dr. Peter Daszak, président de EcoHealth Alliance, affirme que « ce sont les mêmes activités humaines qui sont à l’origine du changement climatique, de la perte de biodiversité et, de par leurs impacts sur notre environnement, du risque de pandémie ». L’approche « OneHealth » , promeut à cet égard une compréhension pluridisciplinaire et intégrée de la santé publique, animale et environnementale à toutes les échelles (locale, nationales, planétaire). Cette démarche peut servir de point de départ à une action mondiale et plus « humaine » pour la préservation de la santé humaine, indissociable de celle de nos écosystèmes.

Marie-Sophie Listre, membre de l’association

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